N° 14 du Canard Enchaîné – 4 Octobre 1916
N° 14 du Canard Enchaîné – 4 Octobre 1916
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Amendement nécessaire
Dans son édition du 4 octobre 1916, Le Canard enchaîné s’amuse d’un projet de loi présenté par le député Peyroux : attribuer la Légion d’honneur à toute mère de douze enfants. L’article, signé Ph. Berthelier, applaudit la mesure… pour mieux en tirer les ficelles satiriques. Pourquoi oublier les pères ? Et pourquoi s’arrêter à douze enfants, quand la Nation réclame sans cesse plus de chair à canon ? Entre ironie sur l’égalité des sexes et caricature de la logique nataliste, le Canard tourne en dérision la rhétorique patriotique qui transforme les familles nombreuses en simples usines à soldats.
La question du bon vieillard, dessin de Lucien Laforge –
ancienne trace d’humidité bien visible sur l’image et présente sur les 4 pages
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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En 1916, la France est plongée dans sa troisième année de guerre. Les pertes humaines sont déjà considérables : plus d’un million de morts et de blessés depuis 1914. Dans ce climat d’hécatombe, la question du repeuplement devient centrale dans les discours politiques et patriotiques. On exhorte les familles à donner des enfants « à la Patrie », tandis que les députés et la presse exaltent le rôle des mères prolifiques, présentées comme des héroïnes de l’arrière.
Le projet du député Peyroux, poilu décoré, s’inscrit pleinement dans ce contexte : il propose que toute mère de douze enfants reçoive la Légion d’honneur. L’initiative reflète la montée d’un natalisme patriotique qui culminera après-guerre avec des mesures incitatives, récompenses et politiques fiscales en faveur des familles nombreuses. L’idée de « l’armée de demain » traverse alors les débats : chaque berceau est vu comme une revanche sur les pertes de Verdun.
C’est précisément ce discours que le Canard enchaîné s’amuse à démonter par l’absurde. Ph. Berthelier applaudit la mesure, mais propose aussitôt un « amendement » : pourquoi réserver la médaille aux mères ? Le père, qui a contribué à « l’œuvre commune », mérite autant d’honneur. Le raisonnement, implacable, révèle l’incohérence d’un système qui prétend prôner l’égalité tout en reconduisant les hiérarchies entre sexes.
Puis le texte bascule dans la satire pure : si l’objectif est la quantité d’enfants, peu importe que ceux-ci soient issus du même couple ou non. L’auteur imagine une distribution mécanique de décorations proportionnelle au nombre de naissances, jusqu’à « la rosette d’officier, le grade de commandeur et la cavalerie d’honneur ». L’effet comique naît du décalage entre la gravité du sujet (la survie démographique de la nation) et la logique administrative réduite au ridicule.
En fin de compte, le Canard dénonce la réification des enfants : ils ne sont plus vus comme des individus, mais comme des unités de production destinées à servir la puissance de l’État. Derrière l’humour, l’article pointe la brutalité d’un discours nataliste qui transforme les familles en simples usines à chair à canon.
Avec ce texte, le journal illustre son rôle naissant : tourner en dérision les idéologies dominantes de son temps, en révélant leur absurdité par l’exagération. Là où les députés célèbrent les familles nombreuses comme socle de la patrie, le Canard expose le cynisme sous-jacent : l’enfant n’est plus un sujet, mais un chiffre dans la comptabilité de la guerre.