N° 40 du Canard Enchaîné – 4 Avril 1917
N° 40 du Canard Enchaîné – 4 Avril 1917
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🖋️ Rodolphe Bringer, « Plaidoyer »
Le Canard enchaîné du 4 avril 1917 donne la parole à Rodolphe Bringer pour une défense en règle… des « bourreurs de crânes ». Contre toute attente, l’auteur renverse l’argument : à quoi bon s’indigner des illusions qu’on nous sert depuis 1914, si ces mensonges sont plus doux à avaler que la réalité brutale ? Ironie grinçante, Bringer se moque autant des propagandistes que de leurs détracteurs, et accuse même Georges de La Fouchardière, initiateur de l’expression, d’être le plus grand de tous.
Le pauvre jardinier – « Personne veut m’employer, rapport à c’que j’ressemble à Nicolas… », dessin à la une de Lucien Laforge – En chaire… et en os ! dessin de Desbarbieux –
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L’article Plaidoyer est une pièce de bravoure ironique où Rodolphe Bringer, plume acérée du Canard enchaîné, adopte une position paradoxale : non pas dénoncer les « bourreurs de crânes », mais les défendre… ou du moins feindre de le faire. Avec un humour mordant, il remercie ces « aimables dispensateurs d’utopies » qui rendent la vie plus supportable en la maquillant de mensonges. La vérité, rappelle-t-il, est « hideuse, quoique nue » ; à l’inverse, « le mensonge est aimable », et c’est précisément pour cela qu’il dit vénérer les faussaires de la presse.
Ce renversement rhétorique est typique du Canard, qui joue du paradoxe pour mieux piquer là où ça fait mal. Bringer vise d’abord les grands quotidiens de 1914, ceux qui annonçaient avec gravité la marche triomphale des cosaques « à cinq étapes de Berlin », alors que trois ans plus tard, les Allemands tenaient toujours Noyon. Mais le coup de griffe le plus cruel est réservé à Georges de La Fouchardière lui-même, inventeur du terme « bourreurs de crânes » et collaborateur régulier du journal : Bringer le désigne comme « le pire des bourreurs de crânes », précisément parce qu’il a su révéler et démonter avec brio le mécanisme de la propagande. On retrouve ici cette complicité ironique entre rédacteurs, faite de piques et de clins d’œil adressés autant aux collègues qu’aux lecteurs.
Le texte, qui multiplie les pirouettes (« Et si je veux qu’on me le bourre, moi ?… »), joue aussi avec le registre populaire et la gouaille parisienne, donnant un rythme de café-concert à une réflexion en réalité très amère : sans illusions, la vie deviendrait « insipide et morose ». Le rire naît alors d’une contradiction assumée : le lecteur, qui a acheté le Canard pour se protéger des bourrages de crânes, découvre qu’il y trouve… un plaidoyer en leur faveur.
En somme, l’article de Bringer illustre parfaitement la double fonction du journal satirique : dénoncer la propagande tout en montrant, avec un humour paradoxal, que les illusions font parfois partie intégrante de la survie collective. À travers ce faux « plaidoyer », le Canard poursuit son œuvre corrosive : transformer le mensonge en matière à rire, et rappeler qu’aucun discours, fût-il antimilitariste ou patriotique, n’échappe au soupçon.