N° 81 du Canard Enchaîné – 16 Janvier 1918
N° 81 du Canard Enchaîné – 16 Janvier 1918
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Dans le « No Man’s Land »
Dans son « No Man’s Land », Gaston de Pawlowski promène sa plume entre satire et absurde, du fameux dossier Caillaux jusqu’au suffrage féminin limité concédé par les Anglais. Avec ironie, il compare les « galopins de cinquante-cinq ans » renvoyés au front aux « pères conscrits » de soixante-quinze. Entre vieilles classes, vieilles dames et vieilles guerres, le Canard de janvier 1918 croque l’actualité d’un monde où la paix s’éloigne et où l’Alsace-Lorraine reste la clef de tout compromis. Un texte où l’humour masque à peine l’amertume d’une guerre interminable.
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Dans son article « Dans le “No Man’s Land” », publié à la une du Canard enchaîné du 16 janvier 1918, Gaston de Pawlowski promène sa plume satirique au milieu d’une France épuisée par la guerre. Son texte joue avec l’actualité immédiate – le dossier Caillaux, les « vieilles classes » de soldats, le suffrage féminin anglais, l’obsession de l’Alsace-Lorraine – tout en les enrobant d’un humour absurde qui permet de contourner la censure et de dire, entre les lignes, ce que beaucoup pensent tout bas.
L’attaque vise d’abord Joseph Caillaux, ancien président du Conseil, dont l’arrestation est imminente. Accusé de défaitisme et de connivences avec l’ennemi, il cristallise la haine de Clemenceau. Pawlowski s’amuse d’une « pièce à conviction » grotesque : une visite de Caillaux à la prison Mamertine de Rome, monument antique où vécurent saint Pierre et Vercingétorix. Et de filer la logique jusqu’à l’absurde : si Caillaux s’y est rendu, c’est que la culpabilité n’est pas loin. La satire dévoile ainsi, par le rire, le caractère arbitraire d’une accusation politique.
Le texte bifurque ensuite vers un autre sujet brûlant : l’âge des soldats. Clemenceau, « Père la Victoire », n’hésite pas à rappeler sous les drapeaux les classes de cinquante ans passés. Pawlowski parle des « galopins de cinquante-cinq ans », soulignant l’absurdité d’une armée vieillissante où l’on verrait bientôt des « pères conscrits de soixante-quinze ans ». L’humour dit tout : la France n’a plus assez de jeunes, sacrifiés dans les hécatombes de 1916 et 1917, et use jusqu’à la corde les générations les plus âgées, tandis que les ministres, eux, dépassent allègrement la soixantaine à l’abri des combats.
Puis vient le détour par l’Angleterre, où la réforme électorale de 1918 accorde enfin le droit de vote aux femmes – mais seulement à partir de trente ans. Pawlowski se proclame féministe « plus que quiconque », pour mieux ironiser : après tant d’années à se reposer, les femmes pourraient bien travailler à leur tour… Quant à leur droit de vote, il est bien restrictif : seules les vieilles dames de soixante-dix à quatre-vingt-quinze ans y ont vraiment accès, raille-t-il. Et de lancer une mise en garde teintée de noirceur : si les femmes, lassées des récits masculins, réclamaient à leur tour « leur guerre », ce serait terrible.
Enfin, Pawlowski aborde la question de la paix. Les Alliés énumèrent chaque semaine leurs buts de guerre, tandis que les Allemands, dit-il, ont déjà annexé la moitié de l’Europe. Mais pour lui, une paix durable ne pourra être trouvée qu’à une condition : régler le problème de l’Alsace-Lorraine, annexée par l’Allemagne depuis 1871. « Aucune idée de paix ne pourra être envisagée tant que la question de l’Alsace-Lorraine ne sera pas résolue », écrit-il. Et de conclure par une formule absurde et paradoxale : « donner l’Allemagne à l’Alsace-Lorraine ».
Tout l’esprit du Canard enchaîné de guerre est là : prendre les sujets les plus graves – procès politiques, carnage des tranchées, droits civiques, avenir de l’Europe – et les traiter par l’ironie, le décalage et le rire grinçant. En janvier 1918, alors que nul ne sait encore que l’armistice interviendra dans dix mois, l’article de Pawlowski reflète l’état d’esprit d’une société exténuée : dire l’angoisse en plaisantant, rire pour conjurer l’horreur, et ne jamais cesser de rappeler, par une pirouette, que l’Alsace-Lorraine reste au centre de toutes les obsessions.





