N° 98 du Canard Enchaîné – 15 Mai 1918
N° 98 du Canard Enchaîné – 15 Mai 1918
89,00 €
En stock
Le joli jeu, par Henri Béraud
Sous la Coupole, les Immortels s’amusent tandis que les poilus meurent dans la boue. Dans un texte mordant, Henri Béraud décrit l’Académie française comme une partie de chaises musicales où Henry Bordeaux, Barthou ou Baudrillart tombent et se relèvent sous les rires complices de leurs pairs. Quand l’élite littéraire joue au soldat avec des fauteuils de velours, le Canard rappelle que la vraie bataille se livre ailleurs.
Herr Nani, ou la plateforme bétonnée : nouveau feuilleton de Jules Rivet
Retour à Paris, dessin de Paul Bour
Le superkanon, dessin de Jif –
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Avec Le joli jeu, publié en une du Canard enchaîné du 22 mai 1918, Henri Béraud tire à boulets rouges sur un symbole des institutions françaises : l’Académie française. Alors que la France vit sa quatrième année de guerre, que les obus allemands pleuvent encore sur Paris et que les tranchées engloutissent chaque jour leur lot d’hommes, la Coupole continue d’occuper ses vénérables fauteuils avec une gravité toute mondaine. Béraud y voit un spectacle dérisoire, presque indécent : celui de vieux messieurs qui, au lieu de peser sur l’avenir de la nation, s’adonnent à une partie de société, sorte de « chat perché académique ».
La métaphore choisie est cruelle : un académicien s’avance pour s’asseoir sur son fauteuil, mais on le lui retire au dernier moment, provoquant sa chute sous les rires de ses camarades. Le malheureux, nous dit Béraud, se relève, brosse sa culotte, sourit avec élégance et reprend le jeu. C’est le sort réservé, en 1918, à Henry Bordeaux, romancier catholique tenace, recalé une fois de plus par ses pairs. L’ironie est d’autant plus piquante que Bordeaux, familier des échecs répétés, finit toujours par se représenter, acceptant la disgrâce avec la constance d’un écolier puni.
Mais au-delà de l’anecdote, l’article vise la mécanique même de l’Académie. On y retrouve les mondains, les politiques, les religieux : Louis Barthou, homme d’État, ou Mgr Baudrillart, recteur de l’Institut catholique, s’imposent dans ce club sélect, pendant que rôde l’ombre de Maurice Barrès, figure du nationalisme, promis à y entrer bientôt. Ainsi, la littérature y apparaît bien secondaire. Sous la plume acérée de Béraud, l’Académie devient un terrain de manœuvres où s’affichent ambitions personnelles, réseaux d’influence et allégeances idéologiques.
Ce décalage est précisément ce que le Canard met en lumière : pendant que les soldats affrontent la mitraille, les « Immortels » s’encanaillent avec des fauteuils de velours. L’humour sert ici d’arme politique. En transformant une élection académique en farce enfantine, Béraud renverse la solennité d’une institution réputée intouchable. L’Académie française, censée incarner le génie de la langue, est ramenée à une cour de récréation d’hommes en habit vert, occupés à des querelles de préséance alors que le pays vit une tragédie collective.
En filigrane, le Canard dénonce l’indifférence des élites. Si les poilus meurent anonymes dans les tranchées, les académiciens, eux, disputent leurs privilèges dans le confort de Paris. Cette satire de Béraud illustre parfaitement l’esprit du journal en 1918 : railler les puissants, rappeler l’injustice des hiérarchies, et affirmer que les vraies voix de la France ne siègent pas sous la Coupole, mais dans les tranchées.

 
      



