N° 102 du Canard Enchaîné – 12 Juin 1918
N° 102 du Canard Enchaîné – 12 Juin 1918
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L’ANGOISSE DU MERCANTI ou le Compte du Tonneau (Manuscrit trouvé dans une musette) par Henri Béraud
Prosper Grivelot, épicier à Bocard-les-Bois (Meuse) fait sa fortune sur le dos des poilus… Feuilleton paru du 12 au 26 Juin 1918: première partie.
C’est bien fait ! dessin de Cabrion
La mode, dessin de Duhant
Les bons motifs, dessin de André Foy
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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12 juin 1918, n°102 – « Somation avec frais » ; « Une fête intime »
Le numéro du 12 juin 1918 illustre bien le mélange de rire administratif et de comédie bachique qui caractérise le Canard. Avec « Somation avec frais », le journal détourne le langage sec et juridique des huissiers pour l’appliquer aux réalités quotidiennes de la guerre : l’absurde surgit quand les dettes et les procédures semblent plus implacables que les obus. Derrière le calembour, on devine l’agacement d’un peuple harcelé par la bureaucratie, même au cœur du conflit.
À côté, « Une fête intime » propose une variation sur l’ivresse en temps de restrictions. Le titre laisse croire à une réjouissance bourgeoise, mais il s’agit en fait d’une parodie grinçante : boire entre amis devient un acte de résistance, une célébration du peu qu’il reste. La « fête » se déroule à la lueur des bougies et autour de bouteilles clairsemées, mais l’humour transforme la pénurie en matière comique.
Ce doublet, mi-juridique mi-bachique, résume l’esprit du Canard en 1918 : ridiculiser aussi bien l’État et ses tracasseries que les convenances sociales de l’arrière. L’arme de la satire, c’est de rappeler que dans les caves et les bistrots, la France tient encore debout – parfois vacillante, mais toujours rieuse.
Le mercanti dans la culture de guerre (1914-1918)
Qui sont les mercantis ?
Le terme « mercanti » désigne, pendant la Grande Guerre, les petits commerçants ou colporteurs installés près du front, qui profitent des besoins des soldats pour leur vendre vin, nourriture, tabac ou objets divers. Ces transactions sont souvent entachées d’abus : prix exorbitants, produits frelatés, tromperies éhontées.
Une figure honnie
Dans la presse, les mercantis deviennent rapidement des boucs émissaires. On les accuse de s’enrichir sur le dos des poilus, de spéculer sur la souffrance et de trahir l’esprit de solidarité nationale. Leur caricature est celle du vendeur sans scrupules, au sourire avide et aux mains sales, écoulant pinard coupé à l’eau et denrées avariées.
Les mercantis et les femmes
À cette figure masculine s’ajoute son pendant féminin : cabaretières ou débitantes de vin, parfois assimilées à des « ribaudes ». Dans l’imaginaire satirique, elles cumulent cupidité et séduction équivoque, transformant leur commerce en double exploitation des soldats : économique et sexuelle.
Un enjeu social et moral
Au-delà des clichés, la présence des mercantis révèle un problème réel : l’armée n’était pas toujours capable d’assurer un ravitaillement suffisant, et ces commerces remplissaient une fonction parallèle. Mais la critique des mercantis exprime aussi une angoisse morale : comment préserver le patriotisme et la dignité dans un contexte où la guerre alimente trafics et compromissions ?
Pourquoi le Canard s’en empare
Le Canard enchaîné met en scène cette figure honnie pour en tirer un effet satirique. Le mercanti et sa complice deviennent des personnages grotesques, symboles de l’arrière indigne. Cette dénonciation, à la fois drôle et cruelle, permet au journal de se poser en défenseur des poilus, contre ceux qui les exploitent jusque dans les villages proches du front.