N° 118 du Canard Enchaîné – 2 Octobre 1918
N° 118 du Canard Enchaîné – 2 Octobre 1918
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LA TOURNÉE, par Henri Béraud
Le 2 octobre 1918, Henri Béraud signe dans Le Canard enchaîné un récit grinçant intitulé « La tournée ». On y croise un poilu et un certain monsieur Oreille, concierge enrichi devenu fournisseur ventripotent, qui se désole de la pauvreté des journaux, regrettant l’époque où crimes et catastrophes meublaient les colonnes. Entre satire sociale et ironie noire, Béraud dénonce le cynisme de ceux qui, loin du front, consomment la guerre comme un spectacle lassant… sauf quand une exécution capitale vient enfin ranimer leur appétit.
La mare aux canards – Le dessin de Gassier revient en mare grouillante de volatiles, commentant en chœur l’actualité. Cette mise en scène visuelle incarne le bavardage collectif de la presse et souligne, par le comique animalier, le chaos médiatique du temps de guerre.
« Concours d’échos pour L’Intran » – Nouvelle livraison d’« échos », où la rhétorique sentimentale est poussée jusqu’au grotesque. Entre veuves trop vertueuses, soldats trop héroïques et civils trop zélés, chaque anecdote est un miroir déformant du discours officiel. Le Canard orchestre cette revue comme un théâtre des pleurs absurdes, où la surenchère finit en éclat de rire.
Cet âge est sans pitié, dessin de Lucien Laforge – Ça ne prend pas, Arpettes, dessins de Raoul Guérin –
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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Avec « La tournée », publié à la une du Canard enchaîné du 2 octobre 1918, Henri Béraud poursuit sa charge contre la société de l’arrière, et plus particulièrement contre ses nouveaux riches. Le personnage central, monsieur Oreille, ancien concierge devenu fournisseur prospère, incarne à merveille cette figure du profiteur de guerre. Devenu obèse, automobiliste et châtelain, il parle d’un ton d’autorité à ses comparses attablés au café, tout en affichant un cynisme abyssal.
Le dialogue rapporté par Béraud fonctionne comme une petite scène de théâtre satirique. Un poilu, humble et silencieux, écoute ce bourgeois ventru expliquer que la guerre ne l’intéresse pas. Ce qu’il regrette ? Non pas la paix, non pas la fin des combats, mais les journaux d’autrefois, remplis de faits divers sanglants et d’histoires criminelles qui le distraient mieux que les bulletins militaires. La guerre, pour Oreille, n’est qu’un spectacle monotone.
À travers ce personnage, Béraud dresse une critique acerbe de l’apathie et du cynisme de l’arrière. Là où le poilu endure la boue, la mort et les offensives, certains concitoyens se plaignent de l’ennui que leur inspire la presse de guerre. Le contraste est cruel, et l’ironie de Béraud fait mouche : le seul moment où Oreille retrouve une lueur d’enthousiasme, c’est lorsque le percepteur des contributions, M. Noix, annonce une exécution capitale. Alors, soudain, tout s’anime : Oreille offre une tournée, comme si la guillotine venait sauver la convivialité du café.
Le texte dénonce donc un double scandale. D’une part, la figure du profiteur de guerre, qui s’est enrichi dans l’ombre des tranchées et que Béraud caricature sans pitié. D’autre part, une forme de décadence morale : le goût morbide d’un public blasé, avide de sensations fortes, préférant les crimes et les exécutions aux récits de sacrifice et d’héroïsme.
Sous sa plume, l’absurde devient évident : dans une France encore en guerre, où la mort est une réalité quotidienne pour des millions d’hommes, l’arrière se plaint… qu’il n’y ait pas assez de « bonnes histoires » à se mettre sous la dent.
Béraud, en chroniqueur implacable, transforme cette scène de bistrot en miroir de la société. Et si l’on rit jaune à la lecture de « La tournée », c’est bien parce que l’ironie vise juste : elle dévoile, derrière le vernis du patriotisme, la lassitude et l’égoïsme de ceux qui, loin des tranchées, attendaient de la guerre un simple divertissement.





