N° 168 du Canard Enchaîné – 17 Septembre 1919
N° 168 du Canard Enchaîné – 17 Septembre 1919
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Comment l’Allemagne enfin va nous payer
En septembre 1919, Le Canard enchaîné confiait à Roland Dorgelès la tâche de disséquer les annonces fracassantes du ministre Loucheur sur les réparations allemandes. Dans un article enlevé, il montre comment les 463 milliards dus par l’Allemagne se transforment en une avalanche de marchandises cocasses, allant des saucisses de Francfort aux bigoudis, des cercueils de Munich aux crocodiles empaillés. Sous la plume ironique de Dorgelès, la « revanche » française prend l’allure d’une brocante de fin de guerre, où l’absurde le dispute au dérisoire.
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Publié à la une du Canard enchaîné du 17 septembre 1919 et signé de Roland Dorgelès sous son pseudonyme habituel R. Catenoy, l’article intitulé « Comment l’Allemagne enfin va nous payer » illustre à merveille l’art satirique du journal au sortir de la Grande Guerre.
Dorgelès, qui fut lui-même combattant et qui avait déjà conquis le public par son roman Les Croix de bois (1919), s’attaque ici à la question brûlante des réparations imposées à l’Allemagne par le traité de Versailles. Le ministre Albert Loucheur, présenté comme un habile financier, expose à la Chambre un plan destiné à rassurer l’opinion : si Berlin ne peut payer en or, il paiera en nature. Mais sous la plume du Canard, cette logique se retourne en un inventaire loufoque, proche du catalogue de foire.
On trouve dans la liste officielle des marchandises « du pays » des objets pittoresques ou inattendus : faïences de Delft, poupées de Nuremberg, eau-de-vie de Dantzig, cercueils de Munich, eau de Badoit — probablement « une erreur de plume », raille Dorgelès. Plus loin, l’énumération devient carrément surréaliste : 150.000 kilos de bigoudis, 27.000 sonneries de réveil-matin, un crocodile empaillé, 41 statues du maréchal Hindenburg dont une cloutée, ou encore un « trou-madame » accompagné d’un jeu de l’oie renouvelé.
La satire est évidente : derrière la promesse d’un dédommagement colossal, c’est une mascarade d’objets hétéroclites qui s’esquisse, comme si la victoire française devait se solder en bric-à-brac plutôt qu’en justice. Dorgelès ridiculise à la fois l’ennemi vaincu et le sérieux affiché par Loucheur, en transformant les réparations en loterie grotesque.
Cet humour grinçant n’est pas gratuit : il traduit la désillusion de l’après-guerre. Alors que les Français espéraient que « l’Allemagne paiera », la réalité paraît bien maigre, presque dérisoire face aux sacrifices consentis. Le Canard pointe, par l’absurde, l’écart entre le discours officiel et la perception populaire.
En fin de compte, cette chronique de Roland Dorgelès rappelle que les grandes affaires politiques, lorsqu’elles passent au crible du satiriste, révèlent leur part de farce. Et en 1919, la « facture » de la victoire ressemble moins à un règlement de compte qu’à une vente aux enchères surréaliste.





