N° 169 du Canard Enchaîné – 24 Septembre 1919
N° 169 du Canard Enchaîné – 24 Septembre 1919
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Dernière heure : La lumière se fait – Pour sauver sa tête Landru sort de son mutisme.
Dans son édition du 24 septembre 1919, Le Canard enchaîné confie à Roland Dorgelès, sous la signature de R. Catenoy, le récit d’un coup de théâtre judiciaire : Henri Landru, jusque-là mutique, accuse soudain Joseph Caillaux d’être le véritable assassin des fiancées disparues. À travers ce renversement rocambolesque, Dorgelès révèle toute la théâtralité d’une époque où l’actualité judiciaire se confond avec le feuilleton, et où chaque procès devient spectacle.
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À la une du Canard enchaîné du 24 septembre 1919, Roland Dorgelès frappe fort en relatant la dernière volte-face d’Henri Landru. Le « Barbe-Bleue de Gambais », jusque-là muré dans un silence hautain, tente de sauver sa tête en accusant… l’ancien président du Conseil, Joseph Caillaux.
L’article, signé de son pseudonyme R. Catenoy, joue à fond la carte du feuilleton judiciaire. Dès l’ouverture, Dorgelès souligne l’« émotion formidable » qui saisit le Palais à l’annonce de cette accusation extravagante. Le Canard, fidèle à son goût de la satire, ne se contente pas de rapporter les faits : il met en lumière le ridicule et l’absurde qui s’invitent dans les prétoires.
Dans le détail, l’affaire prend un relief particulier : Landru, informé par son juge d’instruction Bonin qu’il allait être renvoyé aux assises, se serait soudain écrié : « C’est Caillaux ! » Le parallèle est savoureux : l’un est accusé d’avoir fait disparaître des dizaines de femmes, l’autre traîne une réputation de manœuvrier cynique, miné par ses démêlés autour de l’affaire des fiches et de son attitude durant la guerre. Pour Dorgelès, la logique de Landru est limpide : quoi de mieux, pour brouiller les pistes, que d’accuser un homme politique déjà honni et largement discrédité ?
Mais derrière l’humour, l’article touche à une vérité plus large : en 1919, la France vit à l’heure des procès-spectacles. Après les drames du front, l’opinion réclame des coupables, des récits sanglants, des mystères à résoudre. Landru et Caillaux deviennent des personnages d’un théâtre national où se rejoue la question de la culpabilité, entre crime ordinaire et crime d’État. Dorgelès note même que Mme Steinheil, ancienne héroïne d’un scandale présidentiel, a cru bon d’ajouter ses propres accusations contre Caillaux, ajoutant encore à la farce.
Le ton adopté par Dorgelès est typique du Canard : un mélange de gravité feinte et de dérision. En filigrane, c’est l’inanité du système judiciaire qui transparaît, prompt à transformer un assassin en accusateur, et un ancien ministre en bouc émissaire commode.
Avec cet article, le futur académicien démontre une fois encore son talent de chroniqueur : faire du fait divers un miroir grossissant de la société, et rappeler que dans la France de l’après-guerre, justice et politique se jouaient déjà comme sur une scène de théâtre.
Joseph Caillaux (1863-1944)
Haut fonctionnaire devenu ministre des Finances dès 1899, Joseph Caillaux fut l’un des hommes politiques les plus controversés de la Troisième République. Réformateur habile, il est à l’origine de l’impôt sur le revenu (1914), ce qui lui valut autant d’ennemis que de soutiens. Président du Conseil en 1911, il se heurta à la droite nationaliste lors de la crise d’Agadir et fut accusé de faiblesse face à l’Allemagne.
Sa carrière fut brisée en 1914 lorsqu’un drame personnel éclaboussa sa vie publique : son épouse, Henriette, tua d’un coup de revolver le directeur du Figaro, Gaston Calmette, qui menait contre lui une campagne acharnée. L’affaire fit scandale, mais l’acquittement d’Henriette permit à Caillaux de se maintenir dans l’arène politique.
Durant la Grande Guerre, ses prises de position en faveur d’une paix négociée l’isolèrent durablement. Accusé de défaitisme et de trahison, il fut arrêté en 1918 et jugé en 1920 devant le Sénat réuni en Haute Cour. Bien qu’acquitté du crime de trahison, il fut reconnu coupable d’« intelligence avec l’ennemi » et privé de ses droits civiques pendant trois ans.
Pour les satiristes du Canard enchaîné, Caillaux devint une cible rêvée : incarnation du politicien retors, manipulateur et compromis par ses scandales. Qu’un Landru, en 1919, vienne l’accuser de ses crimes, relevait de l’absurde comique mais aussi d’une logique : dans l’imaginaire collectif, Caillaux était déjà coupable de tout.
Henri Landru (1869-1922)
Henri Désiré Landru, surnommé « le Barbe-Bleue de Gambais », reste l’un des criminels les plus célèbres de l’histoire judiciaire française. Né en 1869 à Paris, ancien mécanicien et petit escroc, il se fit passer, pendant la Grande Guerre, pour un bourgeois veuf en quête de compagne. Grâce à de fausses annonces matrimoniales, il attira chez lui des femmes isolées, souvent veuves de guerre, dont il convoitait l’argent.
Installé d’abord à Vernouillet, puis dans une villa de Gambais, il fit disparaître au moins dix femmes et un jeune garçon, sans que leurs corps ne soient jamais retrouvés. Les enquêteurs découvrirent cependant dans son fourneau des restes calcinés – ossements et dents – qui confirmèrent les soupçons.
Arrêté en 1919, Landru se mura dans le silence, refusant de reconnaître ses crimes malgré des preuves accablantes. Son procès, ouvert en novembre 1921 à Versailles, passionna la presse et le public, qui se pressèrent en foule pour assister aux débats. Défendu par l’avocat Vincent de Moro-Giafferi, il usa de son intelligence froide et de son humour noir pour déstabiliser les juges, mais fut finalement condamné à mort.
Guillotiné le 25 février 1922, Landru entra dans la légende criminelle. Son affaire inspira de nombreux ouvrages et même une pièce de Chaplin (Monsieur Verdoux, 1947). Pour le Canard enchaîné, dès 1919, son nom devint un ressort satirique : symbole de l’horreur, il pouvait aussi être tourné en dérision, au point de servir de paravent aux affaires politiques les plus scabreuses.





