N° 171 du Canard Enchaîné – 8 Octobre 1919
N° 171 du Canard Enchaîné – 8 Octobre 1919
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Une nouvelle affaire de chantage
Quand un professeur de clarinette se retrouve accusé de tentative de chantage après avoir reçu quinze centimètres de couteau catalan dans le médiastin, on nage en plein fait divers… ou plutôt en pleine satire. Dans son article du 8 octobre 1919, Maurice Coriem (alias Maurice Charriat) transforme une banale « affaire » en chef-d’œuvre d’absurde, dénonçant l’insécurité des rues parisiennes autant que la justice et ses ficelles. Un récit où la victime devient coupable et où la presse relaie l’invraisemblable avec un sérieux implacable.
Les préliminaires de paix, dessin de Edmond Calvo.
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Publié page 2 du Canard enchaîné du 8 octobre 1919, l’article de Maurice Coriem (alias Maurice Charriat), intitulé « Une nouvelle Affaire de Chantage », illustre à merveille la veine satirique du journal : détourner la gravité supposée d’un fait divers pour en révéler le ridicule et la duplicité.
Le texte commence dans un style très « chronique judiciaire », avec une précision qui donne le ton : M. Baluchot, professeur de clarinette et de mathématiques à l’Institution des sourds-muets, sort « vers dix-neuf heures trente-sept (heure d’été) ». La minutie du détail prépare déjà le décalage comique. À peine sorti d’une taverne du boulevard Saint-Germain, le malheureux croise un jeune homme pâle qui lui demande successivement feu, papier, tabac et l’heure. Baluchot s’exécute de mauvaise grâce et reçoit aussitôt quinze centimètres de couteau catalan dans la poitrine.
L’affaire semble limpide : une agression nocturne. Mais le renversement survient rapidement : quand les agents arrivent, c’est Baluchot lui-même qui, en désignant son agresseur, est accusé… d’injures et de diffamation publiques ! Pire encore, il se retrouve inculpé de tentative de chantage contre sa propre « victime », un certain Julot, surnommé « la Frappe », qui, loin de la geôle, savoure son triomphe en compagnie du député Prat.
On touche ici à l’essence du Canard d’après-guerre : l’inversion des rôles, où le citoyen ordinaire devient coupable, et où la pègre, alliée au monde politique, parade en toute impunité. Coriem raille la collusion entre malfrats, députés et institutions judiciaires. En filigrane, il moque le discours officiel de « l’épuration des rues », qui vise moins les criminels que les adversaires politiques.
Ce récit absurde fonctionne comme un miroir déformant : sous le ton faussement objectif du compte rendu de fait divers, il dévoile le théâtre social et politique de l’après-guerre, où la justice sert de paravent aux intérêts partisans. L’affaire Baluchot, inventée de toutes pièces, est en réalité une charge contre les travers d’une République qui, derrière ses discours moralisateurs, tolère complaisamment les « Julot la Frappe » du pouvoir.
En jouant avec le genre du fait divers, Coriem confirme ici le rôle du Canard enchaîné comme journal de contre-pouvoir, révélant les aberrations d’une société où la logique se renverse et où la satire devient l’arme la plus redoutable.

 
      



