N° 198 du Canard Enchaîné – 14 Avril 1920
N° 198 du Canard Enchaîné – 14 Avril 1920
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La France a besoin d’argent
Avril 1920 : le ministre des Finances, Frédéric François-Marsal, croit avoir trouvé la martingale pour renflouer l’État. Après l’échec de l’emprunt national, il propose de faire payer aux anciens mobilisés… leurs frais d’entretien pendant la guerre. Nourriture, vêtements, soins, transport : tout est passé au crible d’une facture ubuesque. Dans Le Canard déchaîné, Roland Catenoy démonte l’idée avec un humour corrosif, en détaillant ce que coûterait aux poilus quatre années de tranchées. Derrière la farce comptable, une dénonciation implacable du cynisme budgétaire de l’après-guerre.
La ligue nouvelle, dessin de Raoul Guérin.
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Dans son article du 14 avril 1920, La France a besoin d’argent, Roland Catenoy s’empare d’une proposition de Frédéric François-Marsal, alors ministre des Finances : faire payer aux mobilisés leurs frais d’entretien pendant la guerre. L’idée, déjà extravagante en soi, devient sous sa plume une farce cruelle qui illustre à merveille l’esprit satirique du Canard déchaîné.
Le contexte éclaire ce coup de griffe. Après la guerre, l’État français est exsangue. Les réparations promises par l’Allemagne tardent, l’inflation explose, et les caisses publiques sont vides. Les gouvernements successifs cherchent désespérément de nouvelles recettes : taxes sur l’alcool, impôts sur les célibataires, droits de timbre… mais cela ne suffit pas. François-Marsal, qui a déjà gagné une réputation d’orthodoxe impitoyable, imagine alors une mesure spectaculaire : récupérer huit milliards en facturant aux poilus leur nourriture, leurs uniformes et leurs soins reçus entre 1914 et 1918.
Catenoy s’en donne à cœur joie. Il établit un « tarif » aussi précis qu’absurde : 150 jours de nourriture à 1 franc (1 650 francs), eau-de-vie consommée au front, chaussures usées jusqu’à la corde, vêtements déchirés, soins hospitaliers prodigués par les infirmières les plus « élégantes »… Le tout pour un total de 2 600 francs par soldat. Un calcul comptable implacable, mais surtout une charge d’ironie : on présente comme un privilège ce qui fut en réalité une expérience de misère et de souffrance.
L’absurdité atteint son sommet lorsque l’auteur compare ce « remboursement » avec les salaires du moment. Qui a 2 600 francs en poche ? Certainement pas les anciens combattants, déjà frappés par la vie chère, le chômage et la difficulté de retrouver leur place dans la société. La formule finale claque comme un réquisitoire : « Ce ne sera pas payer trop cher les quatre meilleures années de leur vie. »
Au-delà du rire, l’article met le doigt sur une réalité douloureuse : en 1920, la France honore ses morts mais néglige souvent ses survivants. Les pensions des mutilés sont insuffisantes, les anciens poilus peinent à obtenir reconnaissance et soutien. Le projet de François-Marsal, qu’il soit pris au sérieux ou non, cristallise ce sentiment d’ingratitude.
En tournant en dérision le cynisme budgétaire, Catenoy rappelle ce que Le Canard n’a cessé de marteler depuis 1914 : ceux qui ont donné leur sang ne devraient pas avoir à payer leur guerre en argent.





