N° 208 du Canard Enchaîné – 23 Juin 1920
N° 208 du Canard Enchaîné – 23 Juin 1920
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À la manière de Louis XIV
En juin 1920, Roland Dorgelès signe dans Le Canard enchaîné une charge féroce contre le chauvinisme aveugle et les compromissions politiques du Bloc national. Sous le masque d’une « manière de Louis XIV », il dénonce une France qui préfère cultiver la haine des étrangers plutôt que de tendre la main, et qui, dans le même temps, pousse ses propres ouvriers à l’exil. Entre rappel des exodes passés et satire des compromissions diplomatiques, le Canard montre une République qui, sortie de la guerre, s’enferme dans un nationalisme stérile et cruel.
Le vrai remède, dessin de Raoul Guérin.
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L’article publié à la une du Canard enchaîné le 23 juin 1920, signé par Roland Dorgelès, frappe par sa virulence et son ironie mordante. Sous le titre « À la manière de Louis XIV », l’écrivain-journaliste détourne le ton solennel et « national » pour dresser un réquisitoire contre les crispations xénophobes et les hypocrisies politiques de son temps.
Le contexte est essentiel. Deux ans après l’armistice, la France vit une période de tensions multiples : crise économique et sociale, inflation galopante, grèves à répétition, montée des antagonismes politiques entre Bloc national (majorité conservatrice et nationaliste) et gauche parlementaire. Dans ce climat, le rapport à l’étranger devient une ligne de fracture : fallait-il tendre la main aux Allemands pour reconstruire l’Europe, ou au contraire entretenir une haine inextinguible ? Dorgelès tranche sans détour : la politique du Bloc national ne mène qu’à l’aveuglement, incapable de bâtir autre chose que du ressentiment.
Avec une plume qui mêle satire et gravité, il oppose son « refus obstiné » d’embrasser l’Allemand ou l’Américain au constat amer que la France, elle, pousse ses propres enfants à l’exil. Il rappelle alors, dans une mise en perspective historique, l’exode des protestants après la Révocation de l’édit de Nantes, citant Michelet pour souligner la douleur de ces départs forcés. La comparaison n’est pas anodine : en 1920, de nombreux ouvriers, privés de travail et rejetés par une société qui ne sait plus les accueillir, songent à quitter la France. La haine des étrangers se double d’une incapacité à traiter avec justice ses propres citoyens.
La charge vise également la diplomatie. Dorgelès imagine avec ironie un Paris accueillant à bras ouverts les émissaires allemands ou soviétiques, pendant que les cheminots licenciés s’entassent dans des trains d’émigrants, chassés par la misère. La satire se fait presque visionnaire : cette France qui rejette les siens tout en négociant avec ses ennemis d’hier apparaît comme une nation à contre-sens de l’histoire.
Cet article est typique de l’art de Dorgelès au Canard : une écriture ciselée, nourrie d’images fortes, qui fait dialoguer passé et présent pour dénoncer les errements du moment. En juin 1920, il ne s’agit pas seulement de moquer l’absurde chauvinisme, mais d’alerter sur ses conséquences concrètes : l’exode des travailleurs, la fracture sociale et l’isolement international. Satire et tragédie se mêlent ainsi dans un texte qui conserve, un siècle plus tard, une étonnante actualité.





