N° 244 du Canard Enchaîné – 2 Mars 1921
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LA CONFÉRENCE DE LONDRES – On aborde enfin les choses sérieuses
À Londres, la Conférence sur le Proche-Orient réunit les grandes puissances pour régler le sort de la Turquie après-guerre. Mais dans les colonnes du Canard du 2 mars 1921, Jules Rivet préfère décrire Lloyd George chantant et plaisantant, Briand se laissant aller aux souvenirs, et les diplomates rivalisant de courbettes mondaines. Derrière la comédie, un constat grinçant : l’avenir du Levant et de la Mésopotamie se décide entre une tasse de thé et un trait d’esprit.
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L’article de Jules Rivet, publié en une du Canard enchaîné du 2 mars 1921, illustre parfaitement la veine satirique du journal : tourner en dérision les grandes conférences internationales, perçues comme autant de mascarades diplomatiques. Le titre, « On aborde enfin les choses sérieuses », joue d’emblée sur l’ironie : tout au long du récit, rien ne paraît vraiment sérieux, malgré les enjeux considérables de la rencontre.
Nous sommes à Londres, où s’ouvre une conférence consacrée au règlement du Proche-Orient après la Première Guerre mondiale. Le traité de Sèvres (1920) a démantelé l’Empire ottoman, mais son application soulève d’innombrables difficultés : révoltes turques sous Mustafa Kemal, rivalités coloniales franco-britanniques en Syrie et en Mésopotamie, incertitudes sur la Haute-Silésie en Europe centrale. Pourtant, Rivet nous décrit un décor tout autre : une Angleterre brumeuse où l’on boit de la bière et mange du pudding, où Lloyd George anime la séance comme un chef de troupe, et où Briand se perd dans la nostalgie de Saint-Nazaire.
La satire repose sur un décalage constant entre la gravité des questions à traiter et la légèreté des comportements rapportés. Le Premier ministre britannique apparaît comme un cabotin, lançant « Hip ! Hip ! » ou entonnant It’s a long way to Chequers pour distraire ses hôtes. Briand, censé défendre les intérêts français, se laisse distraire par des souvenirs de campagne. Quant aux diplomates, ils semblent plus attentifs aux convenances, aux formules de politesse et à l’appel nominal des délégations qu’aux tensions militaires qui couvent.
Rivet insère des détails qui relèvent presque du vaudeville : le délégué turc est alité, indisponible pour discuter du sort même de son pays ; les débats sur la Mésopotamie et le Tigre se réduisent à quelques échanges désinvoltes ; le tout baigne dans une atmosphère de mondanités où l’essentiel se perd dans les frivolités. Loin d’être de simples anecdotes, ces images expriment un scepticisme profond : les grandes conférences, loin de régler les crises, ne produisent que des palabres et des compromis boiteux.
Historiquement, l’analyse du Canard n’est pas dénuée de pertinence. La conférence de Londres (février-mars 1921) ne parviendra pas à stabiliser le Proche-Orient. Les Alliés y discuteront des réparations allemandes, des frontières polonaises et de l’avenir de la Turquie, mais rien n’empêchera la montée en puissance du mouvement kémaliste, qui débouchera sur le traité de Lausanne (1923). La satire de Rivet souligne ainsi l’impuissance diplomatique des puissances victorieuses, trop occupées à défendre leurs intérêts coloniaux ou à briller en société pour construire une paix durable.
Le ton adopté par Rivet, léger et railleur, n’empêche donc pas une critique de fond : derrière les plaisanteries des grands hommes, ce sont des territoires entiers et des peuples qui jouent leur avenir. En 1921, l’humour du Canard n’est pas une fuite hors du réel : il en est au contraire une lecture lucide, révélant la vacuité des discours officiels et la comédie du pouvoir international.

 
      



