N° 301 du Canard Enchaîné – 5 Avril 1922
N° 301 du Canard Enchaîné – 5 Avril 1922
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Le voyage présidentiel – M. Millerand débarque à Casablanca et visite MARRAKECH
En avril 1922, Alexandre Millerand, président de la République, entreprend un voyage officiel en Afrique du Nord. Derrière les airs solennels et patriotiques, le Canard enchaîné se régale : embarquement fastueux, escorte pléthorique, incidents cocasses et discours convenus… La satire révèle le décalage entre le récit héroïque servi à l’opinion et la réalité d’une tournée coloniale, symbole d’un empire que la France veut montrer comme un gage de puissance, au moment même où l’Europe peine à sortir de la guerre.
Illustrations de Pruvost
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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L’article du Canard enchaîné du 5 avril 1922 s’inscrit dans un contexte où la France entend affirmer son prestige international et consolider sa domination coloniale, en particulier en Afrique du Nord. Alexandre Millerand, président de la République, effectue une visite officielle au Maroc, quelques années après que la France y a instauré son protectorat (1912). Mais pour le Canard, l’occasion est trop belle : au lieu d’un récit héroïque, le journal propose une chronique ironique d’un voyage présidentiel en forme de comédie.
Dès l’embarquement, la tonalité est donnée. Millerand, censé voyager dans une « simplicité démocratique », est en réalité accompagné d’une suite pléthorique : quatre ministres, une soixantaine de journalistes, une quarantaine d’agents de sécurité, sans oublier les cuisiniers, valets de chambre et dactylos. Le Canard joue du contraste : on est loin de l’austérité républicaine, et bien plus proche du faste monarchique. L’image de Louis XIV, convoquée en contrepoint, renforce la charge : l’empire colonial sert de théâtre à une mise en scène du pouvoir.
Le voyage n’est pas sans couacs, et le journal s’en amuse. La monotonie de la traversée est évoquée à travers les plaintes maritimes du ministre de l’Agriculture, Georges Chéron, transformé en personnage de comédie. Un autre épisode savoureux met en scène un journaliste surpris en possession d’une décoration non autorisée de la Légion d’honneur, détail révélateur du mélange de favoritisme et de ridicule qui accompagne la « grande tournée ».
Arrivé à Casablanca puis à Marrakech, Millerand se veut le symbole d’une France protectrice, soucieuse d’apporter ordre et modernité. Le Canard, lui, relève l’artifice de ces démonstrations. La construction d’un chemin de fer devient matière à moquerie : l’ingénieur local, interrogé sur les risques, ne peut que répondre banalités et optimisme forcé. Quant au discours présidentiel, il promet que les populations « comprendront leur intérêt » à suivre la France, mais la formule sonne comme une rengaine coloniale, répétée sans conviction.
Ce décalage entre la gravité supposée du voyage et la manière dont le Canard le restitue est révélateur. En 1922, la France est encore marquée par l’effort de guerre, les tensions sur les réparations allemandes et la nécessité de montrer sa puissance à l’extérieur. Le voyage de Millerand illustre cette volonté : rappeler que l’empire colonial, vitrine de grandeur, doit cimenter l’unité nationale et renforcer le prestige du pays. Mais la satire montre l’envers du décor : des ministres mal de mer, des discours creux, une logistique disproportionnée.
Le trait est d’autant plus mordant que la presse officielle de l’époque couvre ces voyages dans un ton quasi hagiographique. En contrepoint, le Canard introduit une distance critique : loin d’un président triomphant, il nous présente un chef d’État engoncé dans ses rituels, entouré de courtisans et incapable de faire oublier l’artificialité de l’entreprise coloniale.
En somme, cet article illustre bien la fonction du Canard dans les années 1920 : démonter, par la satire, les mythologies de la Troisième République. À travers Millerand au Maroc, c’est tout le système colonial qui est tourné en dérision, réduit à une procession ridicule d’un pouvoir en quête de grandeur.