N° 357 du Canard Enchaîné – 2 Mai 1923
N° 357 du Canard Enchaîné – 2 Mai 1923
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2 mai 1923 : Jules Rivet enquête sur l’homme au drapeau
Quand Poincaré sermonne, Le Canard ironise
Dans son numéro du 2 mai 1923, Le Canard enchaîné publie en Une une savoureuse “enquête” signée Jules Rivet : à la suite d’un discours de Poincaré, le journal part à la recherche de “l’homme qui a troqué son drapeau”. Entre ministres égarés, politiciens vexés et quiproquos patriotiques, Rivet signe une parodie désopilante du sérieux républicain et des grandes tirades morales d’après-guerre.
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Au printemps 1923, la France est à la fois conquérante et nerveuse. Poincaré, président du Conseil, a lancé en janvier l’occupation de la Ruhr pour contraindre l’Allemagne à payer les réparations de guerre. La droite l’encense, la gauche s’en méfie, mais tout le pays vit au rythme des proclamations patriotiques. Dans ce climat de ferveur nationaliste, Le Canard enchaîné s’autorise un éclat de rire : une enquête imaginaire sur un drapeau égaré.
L’affaire part d’un discours prononcé par Raymond Poincaré à Bar-le-Duc, dans sa Meuse natale. Le chef du gouvernement y fustige ceux qui “évoluent à travers les groupes, brandissant un drapeau rouge contre un drapeau tricolore ou réciproquement”. Allusion transparente à Aristide Briand, son ancien rival et adversaire politique, accusé tour à tour de mollesse ou de volte-face. Mais dans les colonnes du Canard, ces paroles prennent une tournure cocasse : Rivet en fait une véritable enquête policière, à la recherche de “l’homme qui a troqué son drapeau”.
Sous la plume de Rivet, les ministres se transforment en personnages de comédie. Chez Briand, on trouve un ancien chef du gouvernement “dans un état de surexcitation extrême”, protestant qu’il n’est pour rien dans cette histoire de drapeau : « Pourquoi me viserait-elle ? Allez donc voir Viviani ! » — et voilà l’enquête qui rebondit.
Chez Viviani, c’est le même ton absurde : plongé dans la rédaction d’un ouvrage au titre interminable, il nie tout en bloc et renvoie la faute au sous-secrétaire Gaston Vidal. Celui-ci, occupé à “fréquenter assidûment l’église de Saint-Ferdinand-des-Ternes”, se débat à son tour dans un dialogue de sourd, ponctué de pieuses exclamations. Enfin, Rivet pousse la plaisanterie jusqu’à l’Élysée, où Alexandre Millerand feint de ne rien comprendre : « De qui s’agit-il ? » — “Mais de Briand, voyons !” conclut le journaliste en apothéose.
La mécanique est implacable : chaque entretien devient un petit vaudeville républicain, où chacun nie, se justifie, accuse le voisin. Le ton rappelle les “enquêtes” d’un Albert Londres parodiées à la sauce Canard, mais avec un objectif bien plus satirique : ridiculiser le discours moralisateur de Poincaré et la vanité d’une classe politique engluée dans ses contradictions.
Rivet excelle à tourner en dérision le patriotisme compassé et les querelles d’ego qui agitent la IIIᵉ République. Sous prétexte de chercher un drapeau perdu, il met à nu l’hypocrisie d’un monde politique où les alliances se font et se défont au gré des circonstances. La “recherche de l’homme au drapeau” devient ainsi la métaphore d’un pouvoir en quête d’une ligne — et d’une cohérence — après des années d’instabilité gouvernementale.
Mais derrière le comique de situation, le Canard pointe aussi la fatigue d’un pays encore obsédé par les symboles de la guerre. Cinq ans après l’armistice, la France continue d’agiter les drapeaux, mais le patriotisme tourne à la caricature : on s’invective au nom de la patrie tout en rivalisant de postures.
L’ironie de Rivet, fine et faussement naïve, capte ce moment de transition : l’usure d’une rhétorique héroïque, et le basculement vers une France qui, à force de se vouloir exemplaire, devient bouffonne.
En somme, dans cette “enquête” à la fois absurde et lucide, Le Canard enchaîné dresse le portrait d’une République qui cherche encore son drapeau — non pas celui qu’elle aurait troqué, mais celui qu’elle aurait perdu de vue.
Le thème de la trahison de la gauche donna lieu à de très nombreux articles et dessins, du référendum sur « l’homme le plus propre de France » en 1923 - dans ce numéro - aux déceptions de l’après mai-1981, en passant par les articles parfois très durs contre Édouard Herriot, Guy Mollet ou François Mitterrand. De là l’hésitation constamment perceptible entre vote, révolte et abstention.
Les lecteurs du Canard enchaîné étaient invités à désigner l’homme politique qui changeait d’opinion comme de chemise : Alexandre Millerand, premier socialiste à participer à un ministère « bourgeois », en juin 1899, et chef du Bloc national en 1923 fut élu par 1378 voix, devant Gustave Hervé ( 875 voix) et Gaston Vidal ( 824 voix). ( Ibid., 23 mai 1923, p. 3). À noter que le Canard posera à peu près la même question (« L’homme politique français est-il propre ?») en 1951.





