N° 369 du Canard Enchaîné – 25 Juillet 1923
N° 369 du Canard Enchaîné – 25 Juillet 1923
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25 juillet 1923 : Le Canard salue (à sa façon) la paix avec la Turquie
Quand Lausanne ferme la « Sublime Porte », Bringer ouvre grand la satire
Dans son édition du 25 juillet 1923, Le Canard enchaîné commente avec un humour désarmant la signature du traité de Lausanne, qui met fin officiellement à la guerre entre la Turquie et les Alliés. Sous la plume de Rodolphe Bringer, la solennité diplomatique se change en réjouissance cocasse, peuplée de Dardanelles pensionnaires, de Têtes de Turcs recyclées et d’une Sublime Porte munie de grillage.
Truquage, dessin de Pedro – Les excursions du « Matin », dessin de René Dubosc – Un homme avisé, dessin de Charles Boirau –
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Le 24 juillet 1923, après près de huit mois de négociations, le traité de Lausanne met un terme définitif à la guerre entre la Turquie et les puissances alliées. Le texte scelle la fin de l’Empire ottoman et la reconnaissance internationale de la nouvelle République turque menée par Mustafa Kemal Atatürk. Pour la diplomatie européenne, c’est un tournant majeur : le règlement de la « question d’Orient », ouverte depuis un siècle. Pour Le Canard enchaîné, c’est surtout une occasion rêvée de tourner en ridicule les grands discours et les formules solennelles.
Rodolphe Bringer, plume acérée et grand artisan de la verve du Canard des années 1920, s’empare du sujet avec un enthousiasme tout en ironie. Dès la première ligne, il détourne la rhétorique triomphale :
« Depuis hier, nous ne sommes plus en guerre avec les Turcs, et l’on a vu, à toutes les décorations qui ornaient les fenêtres de la France entière… combien cette nouvelle a apporté de joies au sein des familles. »
Sous la fausse gravité du chroniqueur politique se glisse le pur comique de situation : la France entière, illuminée pour fêter un traité dont personne ne comprend les clauses, devient un gigantesque théâtre d’absurde diplomatique. Bringer détaille ensuite, article après article, une version fantaisiste du traité, où les Dardanelles sont transformées en pensionnat anglais et où les « Échelles du Levant » finissent rangées dans un hangar. L’humour naît de cette distorsion volontaire entre le langage administratif et la trivialité des images.
L’un des passages les plus savoureux concerne les “Têtes de Turcs” — expression passée dans le langage courant pour désigner une victime expiatoire. Bringer jubile :
« Puisque la Turquie et nous sommes réconciliés, toutes les Têtes de Turcs seront remplacées par des Têtes de Boches. »
L’effet comique est immédiat : le Canard joue sur la mémoire encore vive de la Grande Guerre et sur le besoin collectif de nouveaux boucs émissaires. En feignant d’adhérer à l’enthousiasme diplomatique, Bringer en révèle la vacuité : les vieilles habitudes nationales — se trouver un ennemi, fêter la victoire, se rassurer par la caricature — sont toujours à l’œuvre.
Mais derrière cette moquerie se lit aussi une critique politique subtile. En 1923, la France de Poincaré s’enferme dans une posture de puissance conquérante : occupation de la Ruhr, nationalisme économique, fierté coloniale. Or le traité de Lausanne marque la victoire d’un État post-impérial, la Turquie kémaliste, qui s’émancipe de l’Europe. Bringer, sous couvert de plaisanter, montre bien que la vieille Europe diplomatique tourne à vide : on signe des traités « historiques » à répétition, mais la seule chose qui change vraiment, ce sont les formules.
La dernière pirouette du texte en est la preuve :
« Il y est encore question de quelques querelles… Mais ce sont là petits détails sans intérêt pour nous, que l’on pourrait appeler justement : les bagatelles de la Porte. »
Ce trait final, digne des meilleurs jeux de mots du Canard, transforme la “Sublime Porte” — symbole de l’Empire ottoman — en simple huis bureaucratique. L’histoire s’achève en bon mot, comme pour signifier que la diplomatie, après tout, n’est qu’un théâtre où la langue française tient le premier rôle.
À travers cet article, Bringer signe un modèle du genre : une chronique où la légèreté n’annule pas la lucidité. Sous ses plaisanteries, il enregistre une bascule du monde : celle où l’Europe croit encore régner sur la planète, mais où déjà, d’autres nations — comme la Turquie moderne — écrivent leur propre destin.
En somme, “Le traité de Lausanne” selon Le Canard n’est pas un monument historique, mais un monument d’esprit.





