N° 431 du Canard Enchaîné – 1 Octobre 1924
N° 431 du Canard Enchaîné – 1 Octobre 1924
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De plus en plus fort : des sous-marins allemands ont sillonné Paris
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1er octobre 1924 : les “sous-marins allemands” dans la Seine — un chef-d’œuvre d’ironie sur la peur et la presse
Le Canard enchaîné ridiculise l’hystérie médiatique et le faux patriotisme post-guerre
Avec son titre tonitruant — « Des sous-marins allemands ont sillonné Paris » —, l’édition du Canard enchaîné du 1er octobre 1924 semble annoncer une nouvelle d’importance nationale. Mais à mesure que l’on avance dans la lecture, le grand frisson tourne à la farce : l’article, pastiche de reportage d’alerte, se révèle une parodie d’une incroyable finesse, dénonçant à la fois les emballements de la presse et la paranoïa encore vive d’une France hantée par le spectre allemand six ans après la fin de la guerre.
Nous sommes à l’automne 1924. Le Cartel des gauches est au pouvoir depuis quelques mois, mené par Édouard Herriot, et la France tente de retrouver son souffle après la tourmente du conflit et les crises économiques qui l’ont suivie. Pourtant, dans le climat d’inflation, de reconstruction et de rancune latente contre l’Allemagne, les journaux rivalisent encore de titres anxiogènes. Quelques jours plus tôt, le quotidien La Liberté avait affirmé que des avions “boches” avaient survolé Paris pendant la nuit. Le Canard s’engouffre dans la brèche pour pousser l’absurde à son comble : si les avions sont passés, pourquoi pas les sous-marins ?
Tout l’article repose sur ce jeu d’escalade ironique. D’un ton grave et appliqué, le rédacteur raconte que “une escadrille de sous-marins allemands a évolué la nuit dernière dans la Seine entre le pont National et le pont d’Auteuil”, précisant qu’on en ignore encore “les résultats” mais qu’ils doivent être “considérables”. La mécanique du pastiche est impeccable : vocabulaire journalistique, structure de “reportage” crédible, témoignages pseudo-officiels et renvois à une “page suivante” pour la “suite de notre information”. Le Canard singe mot pour mot la presse de grand tirage, tout en montrant comment celle-ci fabrique des peurs collectives à partir du vide.
L’humour culmine dans la rubrique “Comment nous avons appris l’événement”, où l’on apprend que la découverte des “sous-marins” découle du vol d’un plan de Paris et du témoignage d’un “égoutier chaussé encore de ses hautes bottes”. De ces indices grotesques naît une certitude patriotique : les Boches sont revenus ! Le journal pousse même le sens du burlesque jusqu’à téléphoner à La Liberté pour “les féliciter de leur information”, ajoutant : “Chose curieuse, La Liberté n’a pas daigné nous répondre.” Le Canard, en feignant la solidarité professionnelle, renverse le ridicule sur les véritables alarmistes.
La “suite de l’information”, publiée en page suivante, prolonge la comédie avec un faux sérieux irrésistible. On y cite “l’amiral Bienaimé”, consulté pour avis, qui conclut doctement : “Les Allemands sont capables de tout. Ils ne sont peut-être pas venus, mais ils auraient très bien pu venir.” Ce raisonnement tautologique, digne d’un communiqué d’état-major, synthétise à lui seul la logique absurde de la peur nationaliste. À travers cette fausse enquête, Le Canard enchaîné démonte le mécanisme de la rumeur : la presse crédulise, l’opinion amplifie, l’autorité cautionne — et le ridicule devient vérité.
Au-delà de la satire journalistique, le texte touche à une dimension plus large : celle d’une France qui, en 1924, oscille entre mémoire et fantasme. Les “sous-marins” ne sont pas seulement des engins imaginaires, ils symbolisent le retour incessant des démons de la guerre, cette impossibilité à tourner la page d’un conflit que la presse, pour des raisons commerciales ou idéologiques, continue d’exploiter.
Dans cette parodie de panique nationale, Le Canard retrouve sa mission première, héritée de 1916 : dégonfler les baudruches du patriotisme outré et rappeler qu’entre le “tocsin” et le “tuyau”, il n’y a souvent qu’une ligne de journal.
Un siècle avant les “fake news”, l’équipe de Maréchal et Bénard en avait déjà percé le ressort : un mélange d’angoisse, de bêtise et de commerce — où le vrai sous-marin, finalement, c’est le bon sens.