N° 436 du Canard Enchaîné – 5 Novembre 1924
N° 436 du Canard Enchaîné – 5 Novembre 1924
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Enfin, pourquoi ne parle-t-on plus de monsieur Billiet ? C’est bizarre, bizarre ! Opinions : vous n’allez pas là-bas ! par Victor Snell – le truc de Mr Christofleau : Pas besoin de perdre son collier… le gouverneur de la Guadeloupe à Paris : le général Mangin visite monsieur Jocelyn Robert – M Millerand est un malin – au temps pour le zouave ! Celui qu’on propose comme roi de France – Distractions présidentielles : une chasse diplomatique en forêt de Rambouillet – le suicide de Charlotte, par G. de la Fouchardière – chronique universitaire : la réorganisation des études médicales- les journaux à 4 sous – Au salon d’automne : nus ingénus et biscornus – Un nouveau et excellent point de vue, par Victor Snell – 5 min chez… Raoul Ponchon (de l’académie Goncourt) –
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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Dans l’édition du 5 novembre 1924, Le Canard enchaîné s’empare avec un humour noir et une distance ironique de ce qui est alors l’un des feuilletons judiciaires les plus retentissants de l’entre-deux-guerres : l’affaire Seznec. Les deux articles dont l'un de Victor Snell, publiés côte à côte, en offrent deux variations complémentaires — l’une burlesque, l’autre faussement moralisatrice — sur les dérives d’une justice en pleine perte de crédibilité et sur la fascination médiatique que cette affaire suscite.
L’affaire Seznec, rappelons-le, débute en mai 1923 par la disparition mystérieuse de Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère. Son compagnon de route, Guillaume Seznec, est arrêté, accusé de meurtre et de faux en écriture, puis condamné aux travaux forcés à perpétuité à l’issue d’un procès à Quimper en novembre 1924 — soit précisément au moment où ces articles paraissent. La France entière suit cette tragédie, où se mêlent rumeurs, fausses pistes et lettres anonymes : un véritable roman judiciaire avant la lettre.
Dans « Le truc de M. Christofleau, pas besoin de perdre son collier... ", l'auteur s’empare d’un épisode périphérique mais révélateur : la rumeur grotesque annonçant la découverte du corps de Quémeneur dans le jardin d’un certain Justin Christofleau, horticulteur de La Queue-les-Yvelines, inventeur autoproclamé de méthodes agricoles miraculeuses. Le journaliste transforme l’affaire en comédie policière, pastichant le ton du vaudeville : « Quel titre pour un gai vaudeville ! » s’exclame-t-il d’entrée. Christofleau, devenu malgré lui héros d’un fait divers imaginaire, s’en amuse : « Ça va me faire de la réclame ! » Cette remarque, authentique selon les journaux de l’époque, sert à Snell de pivot satirique : elle condense l’absurdité d’une société où même le crime devient publicité.
L’auteur imagine alors un engrenage comique : pourquoi ne pas généraliser le procédé ? Pourquoi ne pas, à l’instar de Mlle Jane Marnac — actrice connue pour ses bijoux égarés —, se servir des lettres anonymes pour obtenir un peu de gloire ? Dans une parodie d’instruction judiciaire, Snell multiplie les hypothèses absurdes : Quémeneur serait vivant, aurait été aperçu au théâtre Verdeau, ou même aurait déposé de l’or au comptoir Maxima ! À travers cette avalanche d’affabulations, il fustige la presse sensationnaliste et les enquêteurs crédules, tous prêts à se nourrir d’un faux indice plutôt que d’un fait.
Mais le second article, « N’allez pas là-bas ! », déplace le ton vers une ironie plus sombre. Le chroniqueur évoque cette fois la condition des témoins du procès Seznec, convoqués à Quimper et logés misérablement — six francs par jour d’indemnité, trois fois moins que leur pension d’hôtel. Snell y voit un symbole : « Avoir à éclairer la Justice, c’est en somme bien près de ressembler à un grave accident. » La formule, à double entente, renvoie à la fois au sort des témoins et à celui de la Justice elle-même, devenue un accident d’État.
Tout en affectant la prudence du moraliste — « Mieux vaut ne pas être de trop près mêlé aux choses de la Justice » —, Snell dresse le constat cruel d’un pays où la justice est à la fois inefficace et redoutable. On y risque sa réputation comme sa liberté, que l’on soit innocent ou coupable. En évoquant les affaires Fualdès et Gouffé, deux célèbres procès du XIXᵉ siècle, il inscrit Seznec dans la longue série des erreurs judiciaires françaises.
Ainsi, ces deux textes, sous leurs airs de fantaisies, forment un diptyque cohérent : la comédie d’une enquête dévoyée et la tragédie d’une justice défaillante. Par le rire, Snell exprime la défiance du Canard enchaîné envers le système judiciaire et la presse à scandale, dans une France encore marquée par l’affaire Dreyfus et l’ombre du mensonge d’État. En 1924, alors que Seznec vient d’être condamné et que l’opinion s’interroge, Le Canard rappelle, à sa manière : dans la comédie des hommes, la vérité, elle, ne se trouve pas toujours là où on la cherche.