N° 602 du Canard Enchaîné – 11 Janvier 1928
N° 602 du Canard Enchaîné – 11 Janvier 1928
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11 janvier 1928 : De l’or plein les tonneaux !
L’année 1928 commence au Canard par une pluie d’or — venue d’Amérique. Tandis que Poincaré savoure le succès du franc, la rédaction s’inquiète, ironise et calcule : que faire de 194 tonnes d’or ? Dr Whip a la solution : les partager entre les vingt-cinq collaborateurs du journal. De quoi relancer la satire… et pas l’économie.
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🪶 “De l’or ! De l’or ! Encore de l’or !” et “Causons un peu de finance” (Le Canard enchaîné, 11 janvier 1928)
En ce début de 1928, Le Canard enchaîné ouvre l’année sur un double ton : fausse euphorie et vraie ironie. L’arrivée en France de plusieurs cargaisons d’or américain — un fait économique authentique — donne lieu à deux articles où l’humour masque à peine une critique mordante de la politique financière de Raymond Poincaré et de la dépendance croissante de la France vis-à-vis de ses alliés d’outre-Atlantique.
Le premier texte, anonyme et publié en une, s’intitule “De l’or ! De l’or ! Encore de l’or !” : tout un programme de réjouissances satiriques. L’auteur s’amuse de cette “joie patriotique” suscitée par l’arrivée de “nombreuses tonnes et même de tonneaux d’or américain”. Mais la jubilation n’est qu’apparente : à travers la répétition incantatoire du titre et les tournures ironiques (“C’est bien notre tour, en vérité”), le Canard montre combien la France, si fière d’avoir retrouvé la stabilité monétaire, célèbre en réalité sa soumission aux flux de capitaux étrangers. L’or américain, symbole de puissance économique, est présenté comme un présent encombrant, presque suspect : “Et puis, cet or, où va-t-on pouvoir le loger ?” La plaisanterie touche juste : le pays, en se félicitant de l’arrivée de cet or, oublie qu’il s’agit d’un retour de créances et non d’une conquête. L’ombre de la déflation et des tensions monétaires plane sur le texte, sous le vernis de la légèreté.
La charge devient encore plus fine dans “Causons un peu de finance”, signé Dr Whip, pseudonyme du chroniqueur Géo Friley. En partant de la même actualité — l’arrivée de 194 tonnes d’or à la Banque de France — Whip adopte le ton d’un candide qui s’interroge : “Et qu’allons-nous faire de tout cet or ?” La démonstration tourne à la fable absurde : calculs à l’appui, il envisage de redistribuer les 250 millions de francs-papier “à raison de 6 francs 25 par Français”, puis réduit progressivement l’échantillon jusqu’à ne conserver que… vingt-cinq heureux élus : les collaborateurs du Canard. “Avec dix millions, un Français moyen peut se débrouiller ; à plus forte raison un Français de choix.” Le journal se moque à la fois de la logique capitaliste et des illusions de l’enrichissement collectif.
Ce double traitement, l’un faussement solennel, l’autre faussement naïf, témoigne du talent du Canard enchaîné à faire de la satire économique un genre littéraire. À travers le ton badin, il aborde un sujet fondamental : la fragilité du franc et la dépendance à l’or américain, dans une France qui s’efforce de restaurer sa puissance financière après les désordres de l’après-guerre. Le franc Poincaré, rétabli en 1926-1927, repose sur la rigueur budgétaire et l’afflux de capitaux étrangers, notamment américains. Ce “trésor” venu de Wall Street, que la presse financière célèbre, devient pour le Canard un objet de suspicion : “Attention à l’or américain comme à la main de l’Allemagne !”
En feignant la candeur du petit épargnant ou du patriote naïf, Le Canard révèle les paradoxes de la politique monétaire française : un pays qui se glorifie de sa stabilité tout en dépendant de la confiance — et de l’or — des autres. Sous le rire, une morale : le vrai or, pour le Canard, n’est pas celui des tonneaux, mais celui de la liberté de ton.





