N° 616 du Canard Enchaîné – 18 Avril 1928
N° 616 du Canard Enchaîné – 18 Avril 1928
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Paris tout entier a fêté Costes et Le Brix
Quand Le Canard enchaîné salue à sa manière les héros de l’air
Le 18 avril 1928, Le Canard enchaîné consacre sa une à un événement qui fit vibrer toute la France : le retour triomphal de Dieudonné Costes et Joseph Le Brix, les deux aviateurs français qui venaient d’accomplir un exploit historique, le premier tour du monde en avion sans changement d’équipage. Sous la plume de Pierre Bénard et le crayon de Guilac, cette apothéose prend des airs de fête nationale. Paris acclame ses héros, Poincaré se fend d’un sourire, et le ministre du Commerce, Maurice Bokanowski, s’attribue les lauriers. Derrière la grandiloquence officielle, le Canard capte surtout une époque où la conquête du ciel offrait à une France fatiguée de la guerre un nouvel horizon de gloire.
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Les ailes de la France : un triomphe populaire avant l’heure des doutes
L’article de Pierre Bénard, publié en une du Canard enchaîné du 18 avril 1928, célèbre à sa manière un moment d’euphorie nationale. Depuis leur atterrissage triomphal au Bourget, Costes et Le Brix sont les visages d’une France conquérante et moderne, portée par la fierté technologique de l’entre-deux-guerres. Leur tour du monde aérien, achevé après 57 000 kilomètres de vol, a frappé l’imaginaire collectif. Dans une société encore marquée par le souvenir des tranchées, ces deux hommes incarnent l’audace et la réconciliation avec le progrès.
Bénard, plume fine et ironique du Canard, s’empare du récit officiel pour en tirer un petit bijou de comédie humaine. L’article s’ouvre sur une scène de liesse populaire : « Tout le peuple de Paris, massé dans la rue, n’avait pas assez de cris pour clamer son enthousiasme. » La capitale entière, sous la pluie, se transforme en tribune improvisée. Les jeunes filles lancent des fleurs, les ministres pleurent, Poincaré se fend d’un salut gracieux : c’est le carnaval du patriotisme. Au milieu de cette agitation, Bénard glisse ses traits d’humour : le ministre Bokanowski, tout à son émotion, confie que « c’est le plus beau jour de ma vie », avant de se remettre à pleurer… et à sourire pour les photographes.
Ce mélange d’admiration et de satire est typique du ton du Canard enchaîné à la fin des années 1920. Le journal, loin de mépriser les exploits scientifiques, s’amuse surtout des excès d’une presse et d’un pouvoir toujours prompts à transformer les pionniers en idoles nationales. L’aventure aérienne devient une liturgie laïque : Bénard décrit la foule comme un chœur exalté, les ministres comme des fidèles éperdus, et Costes et Le Brix en saints modernes, modestes mais radieux. La conclusion, sobre, achève ce portrait : « Tout ça, c’est la chance. Au fond, il n’y est pour rien. » Une manière de rappeler que derrière le mythe héroïque, il reste deux hommes épuisés, humbles, mais pris dans le vertige de leur propre gloire.
Dans le contexte de 1928, cette ferveur populaire s’inscrit dans un moment charnière. L’aviation française, auréolée des exploits de Nungesser, Coli et bientôt de Mermoz, incarne un rêve collectif : celui d’une France qui, après les déchirements politiques et la reconstruction, retrouve la foi en sa modernité. Les avions, comme les héros, symbolisent la maîtrise du ciel et du destin. Bénard, avec sa lucidité amusée, saisit le double mouvement de l’époque : le besoin de croire et la conscience du spectacle.
Ainsi, sous le lyrisme apparent, le Canard livre un instantané de la société française de l’entre-deux-guerres : émue, naïve parfois, mais avide d’histoires capables de faire oublier la lourdeur du monde. Et tandis que les tambours de la gloire battent encore, Bénard, lui, garde son sourire en coin — celui du satiriste qui voit dans le triomphe des hommes le reflet d’un pays tout entier en quête d’ailes.





