N° 628 du Canard Enchaîné – 11 Juillet 1928
N° 628 du Canard Enchaîné – 11 Juillet 1928
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On va construire… des statues !
Quand Le Canard enchaîné raille la France bâtisseuse et commémorative de 1928
Le 11 juillet 1928, Le Canard enchaîné juxtapose deux monuments de la France d’après-guerre : le projet de 260 000 logements promis par le ministre Loucheur, et l’inauguration de la statue du maréchal Foch. Sous la plume de J.-A. Moret et d’un rédacteur anonyme, la République se rêve bâtisseuse, mais ne produit que de la pierre… pour ses héros. Satire grinçante d’un pays qui, au lieu de loger les vivants, leur érige des statues — et où l’humour reste le dernier refuge du bon sens.
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En ce 11 juillet 1928, Le Canard enchaîné joue un admirable contrepoint : deux textes en apparence sans lien — l’un consacré à la politique du logement de Louis Loucheur, l’autre à l’inauguration d’une statue du maréchal Foch — se répondent comme les deux faces d’une même médaille. D’un côté, la France des discours modernistes ; de l’autre, celle des commémorations figées. Entre reconstruction et glorification, la satire du Canard découpe au scalpel une République qui confond avenir et souvenir.
Le premier article, « On va construire… mais quoi ? », signé J.-A. Moret, s’empare avec un humour ravageur du projet Loucheur. Ce dernier, ministre du Travail et industriel visionnaire, venait de promettre la construction de 260 000 logements en cinq ans — une ambition saluée par la Chambre et la presse comme un acte de foi républicain. Moret, lui, applaudit… mais à sa manière :
« Que, d’une seule Chambre, on puisse faire sortir 260 000 appartements, c’est un miracle devant lequel s’inclineront les sceptiques. »
L’article prend la forme d’une consultation imaginaire : après un « homme de science » (Painlevé) qui rêve de dortoirs communaux, un « homme de génie » (Citroën) qui veut des logements en métal « aussi petits que ses autos », et un « propriétaire » qui propose de couper les appartements en deux « pour doubler le nombre de locataires et de loyers », Moret laisse le lecteur conclure : si Loucheur bâtit ainsi, on est mieux logé dans Le Canard que dans la République.
Cette ironie sur la « France qui construit » trouve un écho parfait dans le second texte, « Le maréchal Foch et son cheval ont inauguré leur monument », anonyme mais tout aussi mordant. Là encore, tout est vrai : le 10 juillet 1928, la statue équestre du maréchal Foch, œuvre de Malfray, venait d’être inaugurée à Cassel (Nord). Le journal s’en amuse avec une verve absurde : « Le maréchal Foch, qui est le premier dans nos cœurs, n’est pas le premier à avoir inauguré sa propre statue… » Et de filer la moquerie jusqu’à prêter des pensées au cheval, « charmé de se voir en statue » et se réjouissant d’une « revanche » sur son maître, qui l’avait délaissé pendant la guerre pour l’automobile.
Sous la drôlerie, une critique redoutable : la France de 1928, figée dans la mémoire de la Grande Guerre, continue d’honorer ses gloires militaires tandis que la crise du logement perdure et que les classes populaires peinent à se loger décemment. D’un côté, on célèbre l’immobilité héroïque ; de l’autre, on promet la construction de masses d’immeubles qui, en pratique, resteront hors de portée du peuple.
Le Canard enchaîné tisse ici un double pamphlet — contre l’esprit de commémoration et contre la rhétorique du progrès. Le pays qui érige des statues à Foch mais loge ses ouvriers à crédit n’a peut-être pas tout à fait compris ses priorités. À travers les voix moqueuses de Moret et du rédacteur anonyme, c’est la satire sociale la plus fine du Canard d’entre-deux-guerres qui s’exprime : une France à la fois bâtisseuse et bureaucratique, patriote et paradoxale, où l’on construit surtout… des symboles.





