N° 695 du Canard Enchaîné – 23 Octobre 1929
N° 695 du Canard Enchaîné – 23 Octobre 1929
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23 octobre 1929 : Pierre Scize tire sur le “propriétaire du temps”
À la une du Canard enchaîné, l’écrivain s’en prend à l’Aga Khan, figure mondaine adulée, accusée de se jouer de la crédulité des fidèles ismaéliens. Scize démonte, avec une férocité érudite, l’image du « prince des casinos » pour dénoncer l’exploitation religieuse et coloniale dont il se nourrit. Au moment même où la crise de 1929 s’apprête à secouer le monde, Le Canard rappelle que les dieux de la finance et de la foi se ressemblent souvent : ils exigent des offrandes, et bénissent l’ordre établi.
Ce n’est pas la question, par Pedro –
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23 octobre 1929 : Pierre Scize démonte le “dieu des palaces”
Dans son long article du 23 octobre 1929, Pierre Scize signe l’un de ces textes dont Le Canard enchaîné avait le secret : un pamphlet aussi féroce qu’informé, où l’ironie sert d’arme politique. Le sujet du jour ? L’Aga Khan, magnat oriental, figure mondaine de Deauville et d’Aix-les-Bains, qu’une partie de la presse française traite alors en demi-dieu. Scize, lui, n’y voit qu’un exploiteur, « grand seigneur revêtu de l’immunité diplomatique » et dieu autoproclamé d’une religion qu’il détourne à son profit.
L’article s’ouvre sur un ton goguenard : le journaliste s’étonne de l’intérêt obsessionnel que les médias portent au « prochain mariage » du richissime personnage. Il raille la frivolité de la presse à sensation, fascinée par les palaces, les cocktails et les courses hippiques, pendant que la société s’agite dans l’entre-deux-crises. Quelques jours avant le krach de Wall Street, Le Canard vise juste : les gazettes s’enivrent de luxe tandis que la finance vacille.
Mais rapidement, la plaisanterie cède à la charge. Scize se demande qui est vraiment cet Aga Khan dont les journaux font une icône. Il trace un portrait impitoyable : celui d’un milliardaire cosmopolite, ami des puissants, propriétaire de haras et de yachts, vivant de dons extorqués à des croyants misérables du Liban ou de l’Inde. Pour étayer sa critique, il cite Maurice Barrès, qui avait rencontré les ismaéliens du Levant et décrit leur foi naïve envers « le propriétaire du temps », incarnation terrestre de la divinité.
Cette foi, explique Scize, n’a rien d’exotique : elle est tragique. Car les fidèles, convaincus que leur salut dépend du bon vouloir de ce “dieu vivant”, envoient chaque année au siège du culte des sommes astronomiques, « le total des sueurs, des souffrances et des privations d’un peuple ». L’argent, dans ce culte dévoyé, est prière et rançon tout à la fois. Et Scize d’ajouter, venimeux : « Voilà d’où provient ce qui réjouit le putanat et les larbins d’Occident. »
Sous la satire mondaine se cache donc une dénonciation politique. L’Aga Khan, rappelle Scize, est allié de l’Empire britannique, qui exploite sa notoriété religieuse pour maintenir les populations d’Asie sous tutelle. En échange de ses privilèges, il « garantit » la docilité de ses fidèles et leur résignation au joug colonial. Pendant la guerre, il recrute des soldats indiens pour l’armée de Sa Majesté — et touche commission, raille l’auteur.
La dernière tirade du texte clôt le portrait par un coup de massue : l’Aga Khan n’est pas seulement un imposteur religieux, il incarne le cynisme d’une société coloniale où la richesse se sanctifie elle-même. Et Scize, qui savait manier la litote assassine, conclut : « Mais d’une sainte laïque : on a beau dire, ça sert à quelque chose de se faire nommer Dieu. »
Sous la verve du pamphlet, le Canard touche à une question plus vaste : celle du pouvoir des faux dieux — qu’ils soient religieux, politiques ou médiatiques — dans une époque où le culte de l’argent remplace celui des idéaux. À la veille du cataclysme boursier, le propos sonne étrangement prophétique.