N° 731 du Canard Enchaîné – 2 Juillet 1930
N° 731 du Canard Enchaîné – 2 Juillet 1930
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2 juillet 1930 — Tardieu, l’outilleur national et ses amis du Trésor
Quand la bonne humeur du gouvernement tourne à la caisse ouverte
Sous le vernis du sérieux budgétaire, Drégerin révèle les dessous de l’“outillage national” : entre les amis récompensés, les industriels choyés et les discours de vertu, André Tardieu joue les gestionnaires honnêtes — mais distribue les contrats comme des primes de fidélité. Une satire grinçante, à lire “chez M. Roquère, rue des Saussaies”…
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Pour profiter de l’outillage
Le 2 juillet 1930, Le Canard enchaîné publie en page 3 un article signé Drégerin, sous le titre faussement pratique : « Pour profiter de l’outillage ». Sous cette formule qui semble annoncer une circulaire administrative, le journal livre en réalité une nouvelle charge contre André Tardieu, alors président du Conseil, et son ministre des Finances Paul Reynaud. Le texte raille la comédie parlementaire où, à force de débats sur la “propreté” de la gestion publique, chacun finit par s’accorder sur l’essentiel : “le fric est là”.
Nous sommes au cœur de l’année 1930, dans une France qui oscille entre crise larvée et autosatisfaction. Le gouvernement Tardieu se veut celui de “l’ordre, du travail et de la prospérité” ; il vante un réalisme économique moderne, une administration rationalisée, une politique d’équipement national ambitieuse. Mais derrière la rhétorique, Le Canard devine surtout une dérive affairiste. Son ironie vise la collusion entre l’État et les grands intérêts industriels — électricité, engrais, communications — qui bénéficient d’un “outillage” taillé à leur mesure.
Drégerin ouvre le bal en se moquant du ton martial de Tardieu : “Tous les honnêtes gens, dont nous sommes, ont applaudi de toutes leurs mains disponibles…” La formule renvoie au style emphatique des journaux gouvernementaux. Puis vient le “débat” parlementaire : accusations de déficit, insinuations de malversations, ripostes indignées… Le Canard transforme cette joute en vaudeville. Vincent Auriol et Léon Blum sont moqués pour leurs protestations, mais Tardieu n’est pas épargné : son assurance arrogante, sa posture d’homme “propre” en politique deviennent des traits de comédie. Quand il s’écrie : “Ma grande force à moi, c’est que je n’ai jamais été mêlé à aucune affaire louche !”, le lecteur du Canard comprend que l’ironie du journal fait le reste : à trop se proclamer irréprochable, Tardieu se trahit.
Le texte bascule ensuite dans une satire féroce du favoritisme économique. Les “familles Petsche et Manaut”, les amis de “Fernand David” ou les industriels “qui fabriquent des câbles téléphoniques et des phosphates” sont cités comme les bénéficiaires directs de la “bonne humeur” du gouvernement. Derrière le clin d’œil, on retrouve la critique constante du Canard contre la “République des copains”, où l’on distribue les marchés publics et les subventions comme on distribue des récompenses électorales.
La dernière phrase, faussement administrative, achève la satire :
“On s’inscrit dès maintenant rue des Saussaies. Demander M. Roquère.”
Cette adresse, celle du ministère de l’Intérieur, renvoie au cœur du pouvoir — et au centre des petits arrangements.
En surface, l’article se lit comme une chronique de la vie politique. En profondeur, il expose un mécanisme typique de la Troisième République finissante : la confusion entre service public et clientélisme. Sous Tardieu, la modernisation du pays (les “plans d’outillage national”) sert de paravent à la distribution d’avantages industriels. Le Canard s’en amuse, mais son rire sonne clairvoyant. Quelques années plus tard, la crise de 1931 et l’instabilité chronique de la IVᵉ législature montreront combien ce “réalisme” gouvernemental n’était qu’une façade.





