N° 732 du Canard Enchaîné – 9 Juillet 1930
N° 732 du Canard Enchaîné – 9 Juillet 1930
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9 juillet 1930 — Quand Tardieu fête la laïcité à Notre-Dame
Une messe pour Jules Ferry, bénie par le réalisme gouvernemental
Sous la plume de Drégerin, Le Canard enchaîné transforme la célébration du cinquantenaire de l’école laïque en un tableau drolatique : abbés, pasteurs et zouaves pontificaux se disputent la place d’honneur pour honorer… Jules Ferry ! En 1930, la République se prend les pieds dans son “réalisme” : on bénit la laïcité comme une sainte.
La fédération européenne, le cinquantenaire de l’école, dessins de Grove.
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Le cinquantenaire de l’école laïque sera brillamment célébré
Le 9 juillet 1930, Le Canard enchaîné offre à ses lecteurs un modèle d’ironie politique sous la plume de Drégerin, avec cet article intitulé « Le cinquantenaire de l’école laïque sera brillamment célébré ». En apparence, il s’agit d’un simple compte rendu de préparation des festivités prévues pour 1931 à l’occasion des cinquante ans de l’école gratuite, laïque et obligatoire instaurée par Jules Ferry. En réalité, c’est une satire impitoyable du gouvernement Tardieu, accusé d’avoir vidé l’idéal républicain de sa substance en le confondant avec une cérémonie religieuse.
Le texte repose sur un procédé classique du Canard : faire semblant d’adhérer à la logique gouvernementale pour mieux en souligner l’absurdité. Dès l’ouverture, le ton est donné :
« Avec l’esprit réaliste qu’on lui connaît, M. André Tardieu [...] s’est mis tout de suite, et d’arrache-pied, à la besogne. »
Ce réalisme tant vanté — leitmotiv de la rhétorique tardivienne — devient ici le masque de l’hypocrisie politique. La “besogne” consiste à célébrer l’école laïque dans le respect scrupuleux des “susceptibilités religieuses” : autrement dit, à transformer la commémoration de la laïcité en office pieux.
Drégerin décrit, avec un humour pince-sans-rire, une messe en musique à Notre-Dame présidée par un “abbé Dégranges”, suivie d’un Te Deum exécuté “avec les grandes orgues et l’harmonium”. La satire atteint son sommet quand il imagine que M. Tardieu, soucieux d’“union sacrée”, a choisi pour lieu de l’exposition… la sacristie de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, après avoir renoncé au Grand Palais “sur les conseils du pasteur Autrand”. La célébration de la laïcité tourne ainsi à une farce cléricale, où l’on distribue des médailles de Sainte-Thérèse “rigoureusement souveraines contre les cors aux pieds et les accidents d’automobile”.
Cette dévotion factice, enveloppée dans les plis de la bureaucratie républicaine, symbolise parfaitement l’esprit des années Tardieu. À la fin des années 1920, la laïcité n’est plus le combat militant qu’elle fut sous Ferry ou Combes. Le gouvernement, soucieux d’ordre social et de consensus électoral, cherche à concilier les deux France : celle du crucifix et celle du tableau noir. Mais Le Canard souligne, par la caricature, que cette conciliation vire à la caricature : processions de curés et de “chevaliers du pape”, fanfares de zouaves pontificaux, enfants de Marie… Tout y est.
La charge prend d’autant plus de relief que la laïcité traverse alors une phase d’inertie : les grandes batailles scolaires appartiennent au passé, et la droite modérée, revenue au pouvoir avec Tardieu, tente de réconcilier l’État et l’Église sans assumer ce retour en arrière. Pour le Canard, c’est un reniement de l’esprit même de la République. Sous couvert de célébration, la politique tardivienne transforme l’école en vitrine morale, une “messe civique” où l’on bénit plus qu’on n’instruit.
La dernière phrase, faussement apaisée, enfonce le clou :
“Ainsi, les volontés du Parlement seront respectées à la lettre, et personne n’aura lieu de se plaindre.”
Tout est dit : le conformisme a remplacé la conviction, et la laïcité s’est faite protocole. Derrière le rire, Le Canard dresse le portrait d’une République qui, en 1930, commence déjà à perdre le sens de sa propre ironie.





