N° 766 du Canard Enchaîné – 4 Mars 1931
N° 766 du Canard Enchaîné – 4 Mars 1931
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4 mars 1931 — Quand Citroën part pour Pékin… et que le Canard démarre au quart de tour
André Dahl croque la “Croisière jaune” en comédie mécanique
Sous les vivats de la presse, Citroën lance sa mission vers l’Asie. Mais pour Le Canard enchaîné, cette épopée motorisée tient plus du cirque que de l’exploration. André Dahl y voit des voitures-laboratoires, des pick-up pour la couture et un “poulmancar” pour la réclame. Derrière l’aventure, un parfum d’essence… et de publicité.
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La mission Citroën part pour Pékin, elle est déjà à Fontainebleau
Dans son article « La mission Citroën part pour Pékin », publié à la une du Canard enchaîné du 4 mars 1931, André Dahl se penche avec un humour aussi tendre qu’acéré sur un événement alors traité avec un enthousiasme quasi religieux par la presse française : le départ de la “Croisière jaune”, nouvelle expédition automobile lancée par André Citroën à travers l’Asie. Là où les journaux rivalisent d’héroïsme mécanique et de lyrisme colonial, Le Canard préfère la dérision : la caravane motorisée devient un cirque ambulant, un “poulmancar” plein de “nègresses sur les Kégresses”, et l’épopée scientifique se mue en formidable numéro de publicité.
Depuis la Croisière noire de 1924-1925 — expédition africaine filmée et scénarisée pour glorifier la marque aux chevrons —, Citroën avait compris la puissance médiatique des raids automobiles. La Croisière jaune, organisée de Beyrouth à Pékin sous la direction de Georges-Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil, visait à relier l’Occident et l’Extrême-Orient par la route, à travers les déserts d’Asie centrale. Une aventure technique et humaine, certes, mais aussi un gigantesque coup de réclame. C’est ce que Dahl pointe avec sa verve habituelle : derrière la “mission scientifique” se profile un habile numéro de vente. “D’abord, il a sorti trois cents voitures pour les vendre, puis il a conquis l’Afrique… et maintenant l’Asie.” L’humour naît ici de la gradation absurde : le monde est un marché, et l’exploration un argument commercial.
Le reportage parodique met en scène les préparatifs du départ à Fontainebleau, transformé en pré-désert de carton-pâte. Dahl décrit une armée de mécaniciens, d’ingénieurs et de “trente-neuf gaillards prêts à monter” comme s’il s’agissait d’une troupe de music-hall. Le ton oscille entre le pastiche d’un article de L’Illustration et celui d’un carnet de route drolatique : il y a la “voiture-commandement”, la “voiture médicale”, la “voiture de T.S.F.”, jusqu’au “poulmancar” — clin d’œil irrésistible à l’imaginaire colonial et à la fascination de l’époque pour le progrès technique.
Sous cette drôlerie, Dahl dégonfle le mythe. Les “tentes gonflables”, les “pick-up pour la couture” et les “pains de savon pour les indigènes” peignent une expédition moins héroïque que bourgeoise, saturée de gadgets et d’autosatisfaction. Même la voiture médicale transporte “l’élixir aphrodisiaque des gens du désert” : la satire s’étend à la pseudo-science, au goût de l’exotisme et à la mise en scène du courage. À la veille de la grande crise mondiale, alors que la France s’accroche à ses illusions d’empire et de progrès, Le Canard fait entendre une autre musique : celle du doute ironique, du rire salutaire contre le triomphalisme.
Mais derrière les moqueries affleure une réelle admiration pour la démesure de ces projets. Dahl ne méprise pas l’audace, seulement la rhétorique héroïque qui l’enrobe. La Croisière jaune n’est plus ici une épopée civilisatrice, mais une comédie mécanique, où l’homme moderne s’enivre de son propre moteur. “Tout roule déjà”, écrit-il en ouverture — une phrase qui, sous la plume du Canard, signifie à la fois le départ de la caravane et l’irrésistible emballement d’une époque qui croit encore que le progrès résoudra tout.





