N° 782 du Canard Enchaîné – 24 Juin 1931
N° 782 du Canard Enchaîné – 24 Juin 1931
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24 juin 1931 — Le Canard rame contre la guerre
Pierre Scize démonte la grande illusion pacifiste
Sous le titre « Sur un bateau », Pierre Scize étrille le pacifisme de façade et l’hypocrisie des puissances qui, tout en signant des pactes de paix, construisent des croiseurs de guerre. Dans une prose mordante, il dénonce la complicité du Comité des Forges et la logique du profit qui prépare, déjà, la guerre à venir.
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Sur un bateau
Le 24 juin 1931, Le Canard enchaîné publie à sa une un article d’une remarquable vigueur signé Pierre Scize : « Sur un bateau ». Sous un titre apparemment anodin, Scize signe une charge d’un antimilitarisme lucide et désabusé, où la rhétorique du pacifisme est confrontée à la réalité d’un monde qui se prépare, déjà, à la guerre.
En ce début des années 1930, l’Europe semble vouloir enterrer le cauchemar de 14-18. Le pacte Briand-Kellogg, signé en 1928, a “mis la guerre hors la loi”. Des ligues pacifistes prospèrent. Les anciens combattants fondent des associations pour la paix, les gouvernements multiplient les déclarations de fraternité, les diplomates signent des pactes “de non-agression”. Mais Scize, journaliste aguerri et sceptique, voit clair dans le décor.
« Partout on crie : “Guerre à la guerre !” », écrit-il, avant de trancher : « Et quand on s’approche, quand on regarde de plus près, on s’aperçoit que ça ne veut rien dire, que c’est du vent, du bluff, du chiqué. » Le pacifisme est devenu une mode printanière, une “vieille fleur” qui fanera à l’automne.
Sous la plume de Scize, la dénonciation prend des accents presque prophétiques. Tandis qu’on célèbre la paix, la Chambre des députés vient de voter la mise en chantier d’un croiseur de 24 000 tonnes, symbole éclatant de l’hypocrisie internationale. L’auteur s’indigne : comment un pays signataire du pacte de Kellogg peut-il construire un tel “instrument de mort” sans être aussitôt traduit “devant un Conseil des Nations et condamné durement” ?
La question, rhétorique, vise aussi bien la France que les autres puissances : États-Unis, Royaume-Uni, Japon — tous modernisent leurs flottes dans une course aux armements que les conférences de Genève et de Londres prétendent endiguer.
Scize, fidèle à sa manière, attaque à la fois les gouvernants et les industriels. Son texte bascule du pamphlet politique à la satire sociale : “Nos maîtres, écrit-il, s’en soucient autant que le syndicat de la boucherie s’inquiéterait si les veaux et les moutons formaient des ligues contre l’abattoir.” Il accuse sans détour le Comité des Forges — le grand lobby métallurgique français — d’entretenir la guerre pour nourrir ses profits. Citant Le Crapouillot et les interpellations d’Engerand et Barthé, il rappelle les scandales des années 1920 : ententes entre sidérurgistes, marchés truqués, corruption parlementaire. Le militarisme, explique-t-il, n’est pas un accident moral mais un système économique, celui d’un capitalisme qui a besoin du sang des peuples pour rougir son or.
L’écriture de Scize conjugue la verve et la colère, sans jamais sombrer dans le sermon. Il décrit les chantiers navals, les ateliers d’obus, les familles ruinées par les impôts de guerre, et conclut, amer :
« Voici des siècles que des hommes sages protestent. Rien n’y fait. [...] Les usines de guerre travaillent, les administrateurs touchent leurs dividendes, et les actionnaires dansent en touchant leurs coupons. »
L’ironie, dans la dernière ligne, retrouve tout le mordant du Canard :
« Ah ! qu’il nous donnera un matériel de paix bien riche, bien coûteux, bien encombrant, où les salauds puissent s’enrichir ! Ce jour-là, la paix sera assurée. »
En juin 1931, cet article sonne comme un avertissement. Dix ans avant 1940, Scize pressent déjà la faillite du pacifisme de façade et la montée d’un militarisme économique. À travers le symbole d’un bateau de guerre, c’est toute une société qu’il accuse de naviguer à vue — vers un nouveau désastre.





