N° 826 du Canard Enchaîné – 27 Avril 1932
N° 826 du Canard Enchaîné – 27 Avril 1932
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Assez !
Avril 1932. André Dahl, furieux de voir les actualités transformées en parades militaires, fonde dans Le Canard enchaîné une ligue de spectateurs révoltés : les A.C.I.A.C., « Anciens Combattants Amis du Cinéma ». Objectif : crier « Assez ! » quand les écrans dégorgent d’avions, de tanks et de canons. Derrière la plaisanterie, un constat glaçant : en 1932 déjà, la guerre repasse en boucle – et le public s’y habitue.
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27 avril 1932 : André Dahl fonde l’A.C.I.A.C., ou la révolte des spectateurs contre la propagande guerrière
Sous le titre « A.C.! A.C.! » — pour « Anciens Combattants Amis du Cinéma » — André Dahl signe, dans Le Canard enchaîné du 27 avril 1932, un texte d’une verve splendide et d’une lucidité cinglante. C’est à la fois une parodie d’appel à la mobilisation et un manifeste pacifiste déguisé. Le journaliste y propose, non sans ironie, de fonder une ligue de spectateurs lassés des actualités cinématographiques saturées de canons, d’avions et de tanks. Un cri de ras-le-bol adressé à une France qu’on prépare, mine de rien, à la guerre.
Dahl se souvient d’avoir, un an plus tôt, fondé dans Le Canard la « Ligue des C.I.D. » (les C’est idiot !), destinée à huer les films imbéciles. Il réactive ici l’idée avec un sérieux feint : « Je proclame aujourd’hui l’urgence d’un groupement analogue. » Et il donne le ton : « Les marchands de films tremblèrent sur leurs petits coussins de traites impayées et les metteurs en scène comprirent qu’il allait être nécessaire d’être un peu intelligents. » Cette fois, il ne s’agit plus de comédies ineptes, mais des actualités d’avant-séance — celles qui, au faubourg Montmartre comme à Lyon ou Marseille, promettent de faire « le tour du monde en 50 minutes » et ne montrent, en vérité, que des mitrailleuses, des canons, des avions, des tanks et des soldats.
La charge est implacable. En quelques paragraphes, Dahl décortique la propagande visuelle de l’époque : un flot d’images militaires présenté comme divertissement. La paix, dans les années 1930, s’étiole à l’écran sous les projecteurs de la fierté patriotique. Les actualités cinématographiques, souvent produites par des firmes liées à la grande presse ou à l’industrie d’armement, entretiennent un climat martial où les foules s’habituent à voir la guerre comme un spectacle viril et excitant. « À ce point-là, on ne saurait invoquer le hasard », écrit-il, dénonçant un « plan mûrement conçu » pour « affoler l’opinion publique » et obtenir « les commandes que la haute métallurgie réclame ». Autrement dit : les images de tanks nourrissent les dividendes de Schneider et du Comité des Forges.
Le texte, écrit dans le style savamment gouailleur du Canard, devient au fil des lignes une véritable analyse politique. Dahl dénonce ce que nous appellerions aujourd’hui la fabrique du consentement. Il imagine le spectateur de bonne foi « qui ne peut plus sortir sans cette impression d’alarme » : chaque actualité l’immerge dans un monde de fer et de feu, où l’on voit Mussolini compter ses avions, les Anglais tester leurs tanks et la flotte américaine manœuvrer « dans le calme olympien des gros intérêts ». La guerre est partout, et l’habitude de la guerre s’installe. « Tout cela est fait à dessein », tranche-t-il.
Le coup de maître, c’est de transformer cette indignation en farce organisée. Dahl propose de fonder une nouvelle ligue, l’A.C.I.A.C. — « Anciens Combattants Amis du Cinéma ». Une ligue sans cotisation, sans réunion ni bureau : une armée de spectateurs conscients, qui n’auraient qu’un geste simple à accomplir. Quand la salle s’emplira d’images militaires, ils n’auraient qu’à crier ensemble : « A.C.A.C. ! », ce qui, prononcé à haute voix, sonne comme un aboiement furieux, un cri de révolte : « Assez ! Assez ! » Un mot d’ordre à la fois dérisoire et d’une redoutable efficacité symbolique. « Cela ne saurait choquer personne », ajoute Dahl. « On aura nettoyé les écrans de ces saletés. On les aura rendus au printemps, aux fleurs, aux travaux de la paix. »
On retrouve ici toute la cohérence de son engagement dans les derniers mois de sa vie : ce refus du cynisme, cette rage contre l’esthétique militariste, cette ironie qui masque mal une profonde angoisse. Car en 1932, le climat international s’assombrit. Le Japon a envahi la Mandchourie, l’Allemagne vacille dans la crise et voit monter Hitler, l’Italie de Mussolini parade dans les actualités. En France, la crise économique, la peur sociale et le culte de la sécurité préparent les esprits à une nouvelle mobilisation. Dans les cinémas, la guerre devient une habitude visuelle, une banalité. Dahl, lui, voit dans cette habitude la plus dangereuse des intoxications.
Sa proposition de ligue, évidemment ironique, résonne comme un manifeste avant l’heure : celui d’un public qui ne veut plus être complice de sa propre propagande. Sous la plaisanterie, il y a la lucidité d’un homme qui devine déjà que la « paix armée » de 1932 finira dans le feu. Moins de huit ans plus tard, les mêmes images repasseront sur les écrans — mais cette fois, pour de bon.





