N° 831 du Canard Enchaîné – 1 Juin 1932
N° 831 du Canard Enchaîné – 1 Juin 1932
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24 heures de M. Herriot racontées par son carnet
1er juin 1932 : à la veille de son retour au pouvoir, Édouard Herriot devient la cible d’André Dahl. Dans Le Canard enchaîné, son « carnet » intime raconte vingt-quatre heures de vacuité ministérielle, entre sieste, inflation, téléphones et rendez-vous manqués. Le musicien de la politique dirige une symphonie sans orchestre : satire d’un gouvernement qui rêve en majeur pendant que la France s’enlise.
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1er juin 1932 : André Dahl ouvre le carnet d’Édouard Herriot, entre ridicule du pouvoir et vacuité politique
Le Canard enchaîné du 1er juin 1932 s’offre une page d’anthologie en une : André Dahl y imagine une journée ordinaire du nouveau président du Conseil, Édouard Herriot, racontée non par le chef du gouvernement lui-même, mais par son carnet intime. Le procédé, déjà employé pour moquer Tardieu ou Laval, atteint ici une précision féroce. Derrière la drôlerie du journal de bord, c’est tout un système politique que Dahl ridiculise : celui d’une République où les ministres s’agitent sans jamais gouverner, où le verbe remplace l’action, où l’inflation des discours étouffe la décision.
Le titre annonce le ton : « 24 heures de M. Herriot racontées par son carnet ». Le narrateur fictif, un agenda bavard, détaille les activités d’un Premier ministre empêtré dans le tumulte parlementaire du printemps 1932, entre crise financière, affaires coloniales et succession de Doumer. Dès six heures du matin, la caricature est en place : Herriot se réveille en fredonnant Beethoven, convaincu que la politique est « une immense symphonie avec largo, capriccio et andante ». Dahl pastiche le style emphatique de l’homme politique — maire de Lyon, professeur de lettres, orateur lyrique — pour mieux souligner son incapacité à trancher. Le chef du gouvernement, obsédé par la musique, passe son temps à accorder ses ministres sans jamais diriger l’orchestre.
Les heures s’égrènent et l’impuissance s’installe. À sept heures, Herriot se plaint de ses « douleurs » et de ses kilos accumulés à force de banquets : « Actuellement, j’en ai 213 empilés qui font que je touche presque le plafond avec ma tête quand je suis couché. » À huit heures, il songe déjà à une affiche électorale vantant son bilan : “Le franc vaut un sou !” — clin d’œil cruel à la crise monétaire qui frappe alors la France, minée par la déflation et les dettes de guerre.
De neuf à onze heures, Dahl déroule un festival de satire administrative. Défilent les visites inutiles : un vieux politicien « réclamant un portefeuille », un Polonais quémandant « 300 millions pour midi », un ministre de passage cherchant un taxi. Chaque scène expose la mécanique absurde d’un gouvernement de coalition incapable de gouverner : les socialistes compliquent tout, les radicaux temporisent, les républicains de gauche calculent. L’auteur joue avec les clichés du temps : paperasses, discussions de couloirs, coups de téléphone et files d’attente. On devine la lassitude d’un pays qui vit au rythme des tractations et des reports.
Vers midi, Herriot rencontre le nouveau président Albert Lebrun. Dahl, qui avait déjà croqué Lebrun la semaine précédente, poursuit le fil : « C’est un homme très gentil, qui n’a qu’un défaut : ses bottines à élastique ridiculement longues. » Derrière la moquerie, il y a le diagnostic d’un régime enlisé dans la médiocrité : un président terne, un chef de gouvernement indécis, une majorité éclatée. Le carnet se termine sur une note d’épuisement : « C’est le terrain qui a glissé. » L’image dit tout — un pouvoir sans prise, s’enlisant dans le bavardage et l’attente.
Ce texte paraît au moment précis où Herriot, revenu au pouvoir à la tête d’un gouvernement radical-socialiste soutenu par les socialistes, cherche à donner un élan nouveau au pays. Mais son cabinet, formé le 3 juin, n’est pas encore né que le Canard en anticipe déjà l’échec. La satire vise le personnage autant que le système. Herriot, lettré, affable, pacifiste, incarne la Troisième République dans ce qu’elle a de plus convenable et de plus impuissant : une éloquence sans volonté, une morale sans courage. Dahl n’invente pas : il concentre les travers d’une classe dirigeante persuadée que la politique consiste à commenter la veille et à prévoir le lendemain, sans jamais affronter le présent.
Le style de l’article amplifie la dérision : phrases brèves, rythme d’horloge, alternance entre réflexions pseudo-philosophiques et détails grotesques. On rit, mais on sent la lassitude. Le Canard ne se contente plus de moquer les hommes, il dénonce la fatigue d’un régime : une démocratie fatiguée d’elle-même, incapable d’affronter la crise économique mondiale, engluée dans ses querelles d’ego. En 1932, alors que le chômage grimpe, que les ligues d’extrême droite recrutent et que l’Allemagne sombre dans la tourmente, la France officielle joue au solfège.
Le petit dessin de R. Dubosc placé sous l’article parachève la leçon : un député, bedonnant et satisfait, s'entend demander « Alors, M. le député, on va l’appliquer, ce programme ? Allons ! Allons ! Ne nous perdons pas dans les chimères… ». Une phrase qui, à elle seule, résume la chronique de Dahl. Ce n’est pas la satire d’un homme, mais l’autopsie d’un régime : la Troisième République y apparaît comme un orchestre sans chef, où chacun joue sa partition pendant que la maison brûle.

      



