N° 886 du Canard Enchaîné – 21 Juin 1933
N° 886 du Canard Enchaîné – 21 Juin 1933
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Où la S.R.C.P.C. montre une louable activité
Le 21 juin 1933, dans sa Chronique de l’Œil de Bouif, Georges de La Fouchardière raille la France des cloches et des canons — celle qui sonne à Notre-Dame pour la naissance d’un “dauphin” royal tandis qu’elle se prétend républicaine. Derrière le comique de comptoir, l’auteur dresse le portrait d’un pays schizophrène, partagé entre laïcité et nostalgie monarchique. Sous la légèreté de l’anecdote, une ironie mordante : en 1933, la République croit avancer, mais elle marche encore au pas des processions.
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La Fouchardière et le canon du ridicule : chronique d’un royaume à rebours
Le 21 juin 1933, dans Le Canard enchaîné, Georges de La Fouchardière signe une Chronique de l’Œil de Bouif d’anthologie.
Sous un titre faussement administratif — « Où la S.R.C.P.C. montre une louable activité » — il tire à boulets rouges sur la monarchie française en exil, les cérémonies creuses et la France cléricale engluée dans la nostalgie. En apparence, tout n’est qu’anecdote et dialogues burlesques entre le fidèle Bicard et son compère l’Œil de Bouif. En réalité, l’auteur y orchestre une satire politique ciselée : celle d’une France qui, sous la République, rêve encore d’être un royaume.
Des coups de canon et des coups de pied
La chronique s’ouvre sur un échange au comptoir : Bicard s’étonne qu’on tire encore des coups de canon à Paris. L’Œil de Bouif lui explique qu’il ne s’agit pas d’une guerre ni d’une fête nationale, mais de la naissance du “dauphin”, petit-fils du comte de Paris et de la duchesse de Guise.
Le trait est déjà acéré : en 1933, tandis que la République se débat dans la crise économique et le désenchantement politique, certains milieux aristocratiques célèbrent encore un “héritier du trône” — trône aboli depuis quarante-trois ans.
« Le bourdon de Notre-Dame a sonné pendant vingt minutes pour célébrer la naissance d’Henri VI », note ironiquement La Fouchardière.
Tout est là : un pays qui a chassé ses rois, mais qui continue à entretenir leurs rites. À défaut de monarchie, la nostalgie fait office de gouvernement.
La République des grenouilles de bénitier
Le fil du dialogue devient alors prétexte à une succession d’histoires : un curé qui perd ses catéchumènes, un abbé qui tire le canon pour “marquer la naissance du petit prince”, des camelots royalistes qui accrochent leurs cloches au beffroi de Reims…
Sous l’humour, la charge est cinglante : La Fouchardière dresse le portrait d’une France à deux vitesses, où l’Église et les nostalgiques de la couronne rivalisent de zèle symbolique.
« Nous sommes des cinémastes, et nous venons pour tourner le troisième épisode sonore du Père Dupanloup », raille-t-il.
En 1933, ce ton anticlérical a valeur de manifeste. La gauche laïque est alors affaiblie, les ligues d’extrême droite triomphent dans la rue, et la Croix de Feu du colonel de La Rocque multiplie les démonstrations patriotiques. Dans ce climat de crispation, La Fouchardière garde vive la verve du vieux Canard antimilitariste et anticlérical de l’après-guerre : il attaque non pas par le pamphlet, mais par la cocasserie.
Du trône au trottoir
Peu à peu, la conversation s’élargit : on y parle des “pieds au cul” infligés à Valenciennes, des dettes de guerre aux Alliés, du passage d’Alphonse XIII en exil, et même du Souverain, journal royaliste du Nord.
La chronique se transforme en une galerie de grotesques : prêtres affairés, camelots illuminés, aristocrates qui célèbrent leur propre disparition.
À chaque détour, La Fouchardière fait mine de s’étonner : “On sonne les cloches pour la naissance d’un dauphin ? On distribue des coups de pied pour honorer un roi ?”
Sous cette mécanique comique, une idée plus grave : la France des années 1930 se perd dans la confusion entre République et monarchie, modernité et archaïsme, raison et superstition.
Ce n’est plus seulement la religion que le journaliste vise, mais le réflexe d’obéissance : celui qui pousse encore des citoyens à saluer les symboles de l’Ancien Régime.
L’ombre d’un roi fantôme
En 1933, le comte de Paris, prétendant orléaniste, vit en exil, tandis que l’Espagne vient tout juste de chasser son roi, Alphonse XIII, exilé à Rome.
La Fouchardière en profite pour faire un parallèle entre les deux monarchies déchues : l’une célèbre encore les baptêmes imaginaires de ses princes, l’autre traverse la frontière en limousine, escortée par un chauffeur “qui pilotait une voiture française”.
La satire devient universelle : partout, les rois tombés de leur trône continuent de parader, et partout, les peuples s’amusent de leur ombre.
L’auteur clôt sa chronique sur une pirouette :
« Un pays où l’on sonne les cloches en l’honneur de la naissance du dauphin ? Un pays où l’on lit le Souverain ?... Vous appelez ça une République, Bicard ? »
Le rire est amer. Car sous l’humour, c’est bien le diagnostic d’une République malade : rongée par la complaisance envers les puissants et la bigoterie politique.
Une satire dans la plus pure tradition du Canard
Avec cette chronique, La Fouchardière retrouve la veine de ses grands textes des années 1920 : Le Mouton enragé, Les Loups du bordel politique.
Son Œil de Bouif, bavard et goguenard, incarne le bon sens populaire, celui qui regarde le monde à travers la vitre du café et voit ce que les “grands” veulent cacher : le ridicule des puissants.
La force du texte tient à sa mise en scène : tout passe par la conversation, l’absurde, les détours. En apparence, on plaisante. En réalité, on enfonce des clous.
Le “pacte à un” de Bénard, publié une semaine plus tôt, raillait la diplomatie.
La Fouchardière, lui, ridiculise la France de l’encens et du sabre — celle qui, à force de craindre le progrès, rêve encore d’un roi.





