N° 1434 du Canard Enchaîné – 14 Avril 1948
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LETTRE OUVERTE à deux candidats – par R. Tréno – Dans cette lettre ouverte, R. Tréno adresse un message mordant et ironique aux deux candidats au prix Nobel de la Paix de l’époque : Joseph Staline et Harry Truman. Tréno utilise une plume acerbe pour critiquer la candidature des deux dirigeants, mettant en lumière les contradictions de leur quête de paix tout en étant responsables de politiques militaristes et impérialistes.
Cher Staline, Cher Truman,
Les journaux nous apprennent que vous êtes tous deux candidats au prix Nobel de la Paix. Permettez à un humble citoyen d’un pays qui n’est ni l’un ni l’autre de vous adresser quelques mots. Dans notre pays, un tiers des habitants supporte l’un de vous, et un tiers l’autre, un peu comme des oies soutenant différentes marques de pâté de foie.
Permettez-moi de vous donner mon avis très modeste. Vous deux, obtenir le prix Nobel de la Paix ? On vous voit venir ! Vous allez encore diviser la paix en deux zones, comme Berlin, avec une zone de paix russe et une zone de paix américaine. Et il faudra un laissez-passer pour aller de l’une à l’autre. Les journaux rapporteront alors une nouvelle sensationnelle : « On vient d’identifier la dernière femme coupée en morceaux. Il s’agit de Paix. »
Et que ferez-vous de votre moitié du prix Nobel, Truman ? Vous l’enverrez à votre ami Tsaldaris pour équiper une division. Et vous, Staline, comment utiliserez-vous votre part ? Pour armer une division de Markos.
Si votre gloire nécessite absolument un prix Nobel, qu’on en crée un nouveau, tout exprès pour vous : le prix Nobel des coupeurs de cheveux en quatre. Mais pour le prix Nobel de la Paix, mieux vaut y renoncer. Il vous coûterait trop cher. Il vous faudrait jeter au fond de l’océan vos bombes atomiques, vos V2, V3 et autres armes mortelles, dont vous êtes si fiers. Que diraient alors vos maréchaux, vos généraux, vos diplomates de choc ?
Vous êtes tous deux comme ce philosophe de l’Antiquité jouant aux devinettes avec un petit oiseau. Vous tenez dans la main la colombe de la Paix. Est-elle morte ? Est-elle vivante ? Comme si l’on ne savait pas que cela dépend de vous. Que vous serriez un peu plus fort ou que vous relâchiez votre étreinte.
Personne n’aurait pensé à décerner à notre philosophe une carte de bienfaiteur des petits oiseaux. Pourquoi vous donnerait-on le Nobel de la Paix ? Qu’on le réserve plutôt à Albert Einstein, ou qu’on le partage entre ces savants américains qui, sous son impulsion, ont décidé de ne plus fabriquer la bombe atomique, la considérant comme l’arme principale d’un futur conflit.
Certains de ces savants envisageraient même d’abandonner complètement leurs activités actuelles pour libérer leur conscience. Mais que feriez-vous, Truman, et vous, Staline, si tous les savants du monde se donnaient ainsi la main et se passaient le mot ? Vous les féliciteriez ? Non, vous voyez bien… Le prix Nobel de la Paix, c’est quelque chose qui entraîne trop loin.
R. Tréno
Le Canard Enchaîné, 14 avril 1948
Tréno se moque ouvertement de la candidature de Staline et Truman au prix Nobel de la Paix, soulignant l’absurdité de leur prétention à la paix alors qu’ils sont responsables de politiques belliqueuses et de la division du monde en zones d’influence antagonistes. Il utilise des métaphores frappantes, comme celle des oies soutenant différentes marques de pâté de foie, pour illustrer la division artificielle du monde et la manipulation des peuples. Tréno propose ironiquement de créer un prix Nobel spécial pour les « coupeurs de cheveux en quatre » pour Staline et Truman, indiquant par là leur propension à compliquer et à militariser des situations au lieu de chercher une véritable paix.
En conclusion, cette lettre ouverte est une critique acerbe de l’hypocrisie et des contradictions des deux grandes puissances de l’époque, soulignant l’incompatibilité de leurs actions avec l’idéal de la paix mondiale.
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