Mémoires d’Outre Bombe

Les vacances de Pâques étant venues on commence à voir de par les rues pas mal d’étrangers visitant notre capitale. Il y en a de tout jeunes et de toutes couleurs. Un car les dépose et les voilà qui, en colonne par quatre, se mettent en devoir de regarder les monuments.
Montmartre and tchampègne.
Le spirituel Tristan Bernard, qui fut un grand ami du Canard en général et de Maurice Maréchal en particulier, se plaisait à propos des étrangers à Paris, a conter cette plaisante anecdote :
Un de ses amis originaire des Amériques étant venu en France, Tristan se fit un devoir de lui servir de cicérone.
Il l’emmena voir l’Arc de Triomphe.
Alors s’engagea ce dialogue :
Beau monument, dit l’Américain, solide, bien fait. Combien de temps pour le construire ?
Monsieur, je n’en sais rien répondit Tristan, dix ans peut-être…
Dix ans ! s’étonna son compagnon, dix ans ! Chez notes, six mois.
Cette riposte, avouait Tristan Bernard, me blessa dans mon orgueil national, mais, comme je suis homme bien élevé, je n’en poursuivis pas moins la promenade.
Arrivé devant la tour Eiffel, mon Américain s’enquit :
— Combien de temps ?
Peuh ! dit négligemment Tristan, une année à peine.
— Chez nous, quinze jours.
Cette supériorité mécanique — précisait le conteur — n’était pas sans me taper sur le système nerveux.
Parvenu devant Notre-Dame le couple s’arrêta :
— Combien de temps, demanda encore l’Américain, pour bâtir cette cathédrale ?
Alors Tristan, n’y tenant plus :
Quelle cathédrale ?
Mais celle-ci,
— Tiens, c’est vrai, il y en a une. Figurez-vous, mon cher, qu’hier il n’y en avait pas. Elle a dû être construite dans la nuit.
— Well ? se borna à dire l’américain.
il fit bien de s’en tenir à ce « well », concluait Tristan, car s’il m’avait affirmé : « Chez nous une heure », je l’aurais étranglé.
Tristan Bernard se vantait.
Il était incapable de tuer quelqu’un ; ce n’était pas un homme sérieux…

La Môme Crevante