N° 1709 du Canard Enchaîné – 22 Juillet 1953
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Le « Canard » met les pieds dans… le Martinaud-Déplat
Dans sa “Lettre ouverte” du 22 juillet 1953, Jean Laborde règle ses comptes avec Martinaud-Déplat, ministre de l’Intérieur empêtré dans le scandale des bijoux de la Bégum. Au lieu de défendre le commissaire Bertaux, qui a révélé les compromissions de la Sûreté, le ministre choisit de le suspendre pour sauver la face. Laborde démonte l’imposture : caricature, ironie assassine et rappels historiques transforment la lettre en acte d’accusation. Sous la satire, un message clair : en 1953, la vraie faute n’est pas celle des policiers intègres, mais celle d’un pouvoir politique obsédé par ses intérêts électoraux.
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Quand Jean Laborde étrille Martinaud-Déplat : une « lettre ouverte » qui devient acte d’accusation
1953 : un ministre de l’Intérieur en pleine tempête
Le texte signé Jean Laborde dans le Canard enchaîné du 22 juillet 1953 intervient au cœur d’une crise politico-policière majeure : l’affaire des bijoux de la Bégum, où la police, les assureurs, les truands corses et l’administration de l’Intérieur semblent avoir marché main dans la main pour organiser la restitution négociée d’un butin.
Deux semaines plus tôt, Tréno avait déjà mis à nu la collusion police–assurance. Cette fois, Laborde vise directement le ministre de l’Intérieur, Léon Martinaud-Déplat, figure controversée du gouvernement Laniel.
Martinaud-Déplat, élu d’Aix-en-Provence, a suspendu le commissaire Bertaux, responsable de la PJ locale, après sa déposition embarrassante devant les jurés. Depuis, l’affaire tourne au règlement de comptes public. Laborde saisit l’occasion pour décocher un texte qui n’a rien d’une lettre aimable, mais tout d’un réquisitoire.
Une ouverture cinglante : “Vous avez suspendu M. Bertaux…”
La lettre commence sur un ton faussement courtois :
« Monsieur le Ministre,
Vous avez suspendu M. Bertaux après sa déposition devant les jurés d’Aix-en-Provence. »
Dès la deuxième phrase, Laborde attaque : il rappelle que Bertaux, loin d’être un fauteur de troubles, est un policier intègre qui, pour une fois, dit la vérité, et dit clairement ce que la police souhaite cacher. Le texte de Laborde s’emploie à démontrer que la suspension de Bertaux n'est pas une mesure disciplinaire, mais une sanction politique destinée à sauver la face du ministère.
Le Canard, par sa plume, s’érige ici en tribunal alternatif.
Jean Laborde construit un portrait impitoyable du ministre
Laborde tourne Martinaud-Déplat en ridicule :
il joue sur son nom (“Martinet-Déplat”),
il convoque une caricature signée Cabrol, où le ministre traîne une matraque,
il rapproche son autoritarisme de celui de l’ancien préfet de police Fouché,
et il le dépeint comme un homme préférant les apparences à la justice.
Cette image du ministre-martinet renvoie à sa réputation : Martinaud-Déplat, ancien député MRP passé à droite, est connu pour son conservatisme dur, sa répression énergique en Algérie (comme ministre de la Juste République), et son obsession de l’ordre public.
Laborde ne manque pas de l’enfoncer :
« Le naïveté de croire qu’il peut vous apporter un concours électoral… »
Traduction : Martinaud-Déplat a sacrifié Bertaux pour éviter un scandale dans sa propre circonscription. Il a pensé gagner des voix ; il récolte le ridicule.
La police morale contre la police réelle
Tout l’article repose sur une opposition essentielle :
d’un côté, les policiers intègres, les “Valantin”, les “Bertaux”, ceux qui appliquent la loi,
de l’autre, les policiers compromis, les ministres qui ferment les yeux, ceux qui pactisent.
Laborde cite l’enquêteur Valantin, salué comme un “brave”, qui, après avoir longuement défendu Bertaux devant la presse, a vu ses propos étouffés “par quelques journalistes zélés” et par la Place Beauvau.
Le texte souligne que Valantin met en doute la culpabilité du commissaire — et que c’est précisément cette honnêteté qui lui vaut la colère du ministère.
Là encore, Laborde retourne les arguments :
« Il faut éviter de tâcher votre image : osez un conseil ! »
Il joue le rôle du conseiller ironique, celui qui dit au ministre ce qu’il sait pertinemment qu’il ne fera jamais.
Un pamphlet à l’ancienne : coups de griffes, coups de théâtre
Le texte s’apparente aux grands pamphlets de la IIIe République, avec son art de l’esquive et de la pique :
“Ne laissez jamais vos agents lire les romans noirs…”
“Conseillez aux magistrats de polir leurs lunettes…”
“Surveillez-vous des bavures : il en est une que la liberté provisoire me paraît moins nocive…”
“Et surtout, répétez-vous souvent : pour juger, il ne suffit pas d’être ministre…”
Chaque phrase est un tacle. L’ensemble forme une pédagogie négative : Laborde explique, par l’absurde, tout ce qu’un ministre devrait faire mais ne fait pas.
Le cœur de la lettre : une dénonciation de l’impunité politique
Ce que Laborde reproche à Martinaud-Déplat dépasse l’affaire de la Bégum. Il lui reproche l’usage systématique du pouvoir pour dissimuler les ratés de la police. La IVe République est alors saturée de scandales : marchés publics truqués, collusions avec le milieu, bavures coloniales. Martinaud-Déplat devient l’incarnation commode d’un système qui protège l’institution avant d’assurer la justice.
Laborde écrit :
« Moi, votre administré, je ne vous toucherai pas. »
C’est une feinte de respect, immédiatement piégée : le lecteur entend surtout “vous mériteriez d’être touché”.
La fin : le coup de grâce
La phrase finale est magistrale :
« Et sachez, Monsieur le Ministre, qu’à M. Bertaux je n’aurais pas dit d’attaquer à la cervelle. »
Cette allusion, mi-grivoise mi-criminelle, renvoie à la phrase maladroite reprochée à Bertaux — et surtout, elle retourne l’accusation contre le ministre. Laborde suggère qu’il n’y a qu’un homme dangereux dans cette affaire : Martinaud-Déplat lui-même.
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