N° 2821 du Canard Enchaîné – 20 Novembre 1974
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Les récrés du p’tit Valéry
Pense à Chirac : les « démons » ne veulent pas être des possédés – Chirac plaide non capable – le 22 à Téhéran – la brave petite mère Veil, par Jean Manan – l’Unesco : Kultur Mein Kampf ! Les gnons de la gauche – Bolo-rétro – la dèche nucléaire – l’hirondelle du faubourg – fonctionnaires : la grille chauffe – Dassault bien représenté – l’armée au contact de l’ennemi intérieur – bourreaux d’études – que choisir ? Consommateurs ou consommés – au xénon de la science – les juges : il y a plus de justice – du sucre sur le dos (Leveneur, la Réunion) – l’homme de la situation : Uri Geller – cinéma : un vrai crime d’amour – pour l’avortement : Macache… Bolo – …
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La brave petite mère Veil
Simone Veil au combat, entre courage et isolement
Le 20 novembre 1974, dans Le Canard enchaîné, Jean Manan consacre un article au projet de loi sur l’avortement défendu par Simone Veil, alors ministre de la Santé dans le gouvernement Chirac. Le texte, intitulé « La brave petite mère Veil », illustre parfaitement la manière dont le journal satirique accompagne, avec un ton à la fois ironique et combatif, un moment clé de l’histoire sociale française.
L’article insiste sur l’isolement de la ministre au sein même de son camp. Lors du conseil des ministres, seuls deux hommes osent prendre la parole pour la soutenir, tandis que les autres, silencieux, préfèrent s’abstenir. On relève l’absence remarquée de Jean Lecanuet, garde des Sceaux, qui aurait dû, en tant que ministre de la Justice, défendre le projet ; ou encore celle de Michel Poniatowski, habituellement omniprésent, soudain muet sur ce sujet brûlant. Cette lâcheté des collègues gouvernementaux souligne combien la bataille pour le droit à l’avortement repose, en pratique, sur les épaules de Simone Veil seule.
Manan décrit une conjoncture parlementaire hostile, marquée par la coalition de la droite conservatrice, des catholiques rigoristes et des partisans d’un « patriotisme nataliste » caricaturé sous l’appellation de « laisser-les-vivre ». L’issue semble compromise : la majorité rétrograde et les amendements proposés menacent de vider le texte de sa substance. Dans ce climat, Veil apparaît comme une figure fragile, coincée entre la fidélité à son projet et la pression de ses pairs.
Mais le Canard ne s’arrête pas au constat. L’article propose une lecture politique et symbolique. D’abord, Manan rappelle que 73 % de l’opinion publique soutient la dépénalisation de l’avortement, chiffre issu des sondages. Ensuite, il souligne l’hypocrisie des présidents Pompidou et Giscard qui, déjà, avaient reconnu l’obsolescence de la loi de 1920 en la qualifiant d’« inapplicable ». Enfin, il rappelle que les tribunaux eux-mêmes hésitent à poursuivre les femmes, tant la législation est devenue inadaptée. Dans ces conditions, le combat de Simone Veil prend une dimension presque héroïque : porter à bout de bras une réforme que la société réclame mais que la classe politique rechigne à assumer.
Le ton du Canard est ici ironique, mais aussi incitatif. « Allons, Simone, un peu de culot », écrit Manan, appelant la ministre à ne pas céder aux amendements mutilants et à montrer de l’intransigeance. Loin d’une neutralité journalistique, l’article prend position, encourage et pousse. Ce soutien est d’autant plus marquant que le débat est alors d’une rare violence : Simone Veil est insultée, attaquée personnellement, et pourtant déterminée à mener son projet à bien.
Ainsi, le texte de Manan illustre l’un des rôles majeurs du Canard enchaîné : accompagner une réforme de société, en dévoilant les lâchetés du pouvoir, en ridiculisant les conservatismes et en appelant au courage politique. Dans la bataille qui aboutira au vote historique du 29 novembre 1974, cette chronique résonne comme un encouragement public adressé à une ministre qui, seule contre presque tous, incarnait déjà une page d’histoire.