N° 2840 du Canard Enchaîné – 2 Avril 1975
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Canonisons les assassins
Une messe pour la guerre
Jean Clémentin signe un texte aussi rageur qu’ironique sur l’hypocrisie des discours occidentaux face au Vietnam. Alors que les réfugiés des Hauts-Plateaux servent de prétexte à de pieux épanchements, l’auteur rappelle la chaîne de responsabilités : gouvernements français et américains, Église catholique, Kissinger… Tous célébrés, presque sanctifiés, alors même qu’ils portent le poids du massacre.
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Canonisons les assassins
La guerre du Vietnam au tribunal de l’histoire
Dans cet article du 2 avril 1975, Jean Clémentin déploie toute la force de sa plume polémique pour dénoncer ce qu’il appelle « la fête aux assassins ». Derrière les lamentations officielles sur les malheurs du peuple vietnamien, il révèle la continuité d’une responsabilité française et occidentale, trop souvent passée sous silence.
Clémentin commence par remonter le fil historique. Il rappelle que la guerre du Vietnam ne saurait se comprendre sans la guerre d’Indochine, menée par la France jusqu’en 1954. Cette guerre, écrit-il, a fait des dizaines de milliers de morts et laissé le pays exsangue, sans que jamais la classe politique française ne rende de comptes. Il convoque Mendès France, de Gaulle, et d’autres figures de la Quatrième République comme autant de responsables d’avoir prolongé un conflit colonial déjà perdu d’avance. Pour lui, la France a ouvert la voie à l’Amérique en lui léguant un terrain de guerre et un peuple meurtri.
Puis il élargit son accusation aux États-Unis. John Kennedy, souvent présenté comme le président idéaliste, est ramené à sa réalité : celui qui, après l’échec de la Baie des Cochons, a lancé l’engagement militaire au Vietnam. Ses successeurs – Johnson, Nixon – ne sont pas oubliés, tous rangés dans la même logique cynique d’escalade guerrière. Clémentin raille particulièrement Henry Kissinger, prix Nobel de la paix en 1973, dont le nom reste associé aux bombardements massifs et à une diplomatie sans scrupules.
Mais le cœur de sa charge vise l’Église catholique. L’auteur montre comment, dès la fin des années 1940, les autorités religieuses ont transformé la guerre du Vietnam en croisade morale contre le communisme. Le régime de Ngô Đình Diệm, soutenu par Rome et Washington, est décrit comme un régime confessionnel installé grâce aux bénédictions des évêques et des congrégations. Diệm, puis Thiệu, sont ainsi présentés comme les « présidents catholiques » d’un pays majoritairement bouddhiste, leurs politiques répressives étant directement appuyées par une légitimation religieuse.
Clémentin conclut par une ironie terrible : après Pie XII, compromis avec Hitler, et après les grands bénisseurs de la guerre du Vietnam, pourquoi ne pas canoniser Kissinger lui-même ? Le sarcasme appuie une idée simple : la guerre ne fut pas seulement militaire ou politique, elle fut aussi morale et spirituelle, portée par des discours religieux qui ont servi à masquer la réalité des massacres.
Le texte frappe par sa violence verbale, mais aussi par sa lucidité : il rappelle que la guerre du Vietnam fut non seulement une tragédie, mais un crime avec des responsables identifiables. Dans la tradition du Canard enchaîné, il refuse la posture compassionnelle et exige que l’histoire désigne les coupables.