N° 2867 du Canard Enchaîné – 8 Octobre 1975
N° 2867 du Canard Enchaîné – 8 Octobre 1975
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Le cadavre exquis, par Jean Manan, Et, un Rocard, un ! par Pierre Detif
Deux socialistes, deux destins, deux charges du Canard : Michel Rocard, inspecteur des finances sans avenir, et Guy Mollet, pleuré par les crocodiles. En ce 8 octobre 1975, l’hebdo juxtapose l’enterrement sarcastique d’un vieux routier et la caricature d’un héritier malheureux, comme pour montrer combien la gauche française peine à se réinventer entre fantômes d’Arras et dauphins perdus de la SFIO.
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Quand le Canard croque la gauche
L’édition du 8 octobre 1975 offre un double portrait grinçant qui, mis côte à côte, fait figure de tableau de famille : Pierre Detif s’attaque à Michel Rocard, éternel dauphin condamné à des tâches obscures, tandis que Jean Manan enterre Guy Mollet en dressant la liste de ses trahisons. Deux registres différents – l’ironie douce-amère d’un côté, la nécrologie assassine de l’autre – mais une même conclusion : le socialisme français n’a toujours pas trouvé son incarnation crédible.
Rocard, l’éternel recalé
« Et un Rocard, un ! » : le titre sonne comme un slogan de café du commerce. Detif y dépeint un Rocard réduit à inspecter les crues et les écluses du bassin de la Seine, caricature d’un technocrate brillant mais inutile. L’ancien candidat de 1969, déjà distancé par Mitterrand, se voit ridiculisé comme un « ex-dauphin » sans monture, bon pour surveiller les eaux troubles plutôt que pour naviguer en politique. L’article rappelle son parcours : ses débuts enthousiastes à l’ENA, son rôle au PSU, ses tentatives de modernisation avortées. Mais tout cela n’aboutit qu’à un purgatoire, celui d’un « fantôme socialiste » condamné à rester dans l’ombre.
Mollet, crocodiles et cadavre exquis
Face à ce fantôme, le cadavre de Guy Mollet prend une dimension presque grotesque. Jean Manan n’épargne rien à l’ancien chef de la SFIO : sa participation aux guerres coloniales, sa collaboration avec la droite, ses méthodes de flicage interne. La mise en scène de son enterrement est féroce : crocodiles et pleureuses s’émeuvent, mais le Canard rappelle qu’il fut l’un des grands fossoyeurs du socialisme d’après-guerre. Derrière les citations ironiques – « pur de la politique », « homme loyal », « fervent républicain » – se cache le bilan implacable d’un homme qui, à force de compromis, a vidé son parti de toute substance.
Deux faces d’un même problème
En juxtaposant ces deux papiers, le Canard dessine une généalogie tragique. À gauche, un héritage encombrant, celui d’un Mollet qui a mené la SFIO à l’agonie et trahi nombre de ses idéaux. À droite, une relève fragile, celle de Rocard, qui ne parvient pas à s’imposer face à Mitterrand et se retrouve caricaturé en fonctionnaire d’eau douce. L’un est mort, l’autre vivote, et tous deux illustrent la difficulté du socialisme à se projeter dans l’avenir.
Le rire pour masque du désarroi
Le sel du Canard réside dans cette capacité à faire rire de la défaite : des crocodiles aux écluses, des pleureuses aux inspecteurs sans cheval, tout concourt à tourner en dérision les prétentions de la gauche. Mais derrière le rire, se cache un constat plus amer : en 1975, le socialisme reste empêtré entre les cadavres du passé et les illusions d’avenir.