N° 2955 du Canard Enchaîné – 15 Juin 1977
N° 2955 du Canard Enchaîné – 15 Juin 1977
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L’aéronautique selon Giscard
Au Bourget, en juin 1977, Giscard offre à Marcel Dassault un cadeau empoisonné : l’État entre au capital, “à demi”, 34 % seulement, mais assez pour faire du bruit. La Mare aux Canards raconte ce coup de théâtre comme une acrobatie : la majorité qui dénonçait les nationalisations se met soudain à “participer”, au nom de la modernité. Entre avions trop chers, fusions rebaptisées “coopérations” et lois promises pour demain, l’aéronautique devient un mirage politique. Un pied chez Dassault, l’autre dans la com’.
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Un pied chez Dassault, l’autre dans la tambouille
Juin 1977 : Giscard découvre un nouveau sport national, le “contre-feu à réaction”. Depuis trois ans, il vend la modernité comme une moquette neuve posée sur les vieilles plaintes. Mais la conjoncture, elle, s’obstine à grincer, et l’opinion commence à regarder l’Élysée comme un comptoir où l’on sert toujours la même tournée, en jurant que c’est un cocktail inédit. Alors, au Bourget, VGE sort son plus beau tour de piste : l’État entre au capital de Dassault-Breguet. Pas pour “nationaliser”, voyons. Pour… “participer”. Une demi-nationalisation, en demi-soupir, réformiste en demi-teinte, comme l’écrit joliment La Mare aux Canards : 34 % en minorité de blocage, façon pied dans la porte sans se salir la semelle.
Et le vieux Marcel, qu’on imaginait inamovible comme un cendrier de club, reçoit l’annonce comme un camouflet poli. On le balade dans la maquette d’un Mystère 50, on lui fait voir du pays en cockpit, et il ressort plus pâle que le fuselage. À la “douceur” des mots, on reconnaît la main du pouvoir : ce n’est pas une prise, c’est une caresse; pas une contrainte, une “solution possible”. On propose deux chemins qui mènent au même hangar : soit l’État achète des actions nouvelles (donc du vrai argent frais), soit Dassault vend une tranche de capital (donc l’État entre, mais sans que la maison s’enrichisse). Autrement dit : “choisis ton supplice, on l’appellera réforme”.
La droite, ce grand parti des nationalisations… chez les autres
Le sel, c’est l’acrobatie politique. Depuis 1972, la gauche traîne le mot “nationalisations” comme une casserole, et la majorité s’époumone à crier au vol, au soviétisme, à la fin des haricots et au début des miradors. Et voilà que Giscard, au nom de la liberté d’entreprendre, vient bricoler une “prénationalisation” en kit, au moment même où il faudrait convaincre que, vraiment, non, ce n’est pas du tout la même chose.
La manœuvre a l’air d’un clin d’œil envoyé à Mitterrand par-dessus l’épaule de Dassault : après les élections, qui sait, on peut peut-être “s’entendre”. Les socialistes réclament des milliards en compensation des prêts, des fonds perdus, des cadeaux aux “maîtres de forges” : qu’on leur montre donc que l’État sait aussi entrer dans la place, surveiller l’usage de l’argent public, jouer au gendarme des bénéfices. Et tant pis si la droite découvre soudain que l’économie mixte, c’est pratique, surtout quand ça permet de piquer la pancarte du voisin sans reprendre la boutique.
L’aéronautique française, ou l’art de voler en formation… désordonnée
Derrière le coup d’éclat, La Mare s’amuse surtout de la “co-errance” générale : Air France, Air Inter, les fusions qu’on annonce et qu’on rebaptise “coopération étroite” pour ne pas effrayer les actionnaires ni les ego; les projets qui changent de nom plus vite que les ministres; les modèles qu’on expose puis qu’on retire, comme si la liberté de création dépendait d’un coup de téléphone de Matignon. Le gag est cruel : la France veut des avions, mais surtout des discours sur les avions. À force d’invoquer Caravelle, Concorde, Mercure, Airbus, on finit par ressembler à un musée dont le guide dirait : “Ici, vous voyez un avenir… malheureusement fermé pour cause de travaux.”
Le dessin de Lap résume l’instant : “Encore un nouveau modèle de Mirage !”. Le Mirage, chez Giscard, n’est pas seulement un avion, c’est une politique. On plane à la verticale, on promet l’altitude, et on atterrit dans les paperasses, les montages juridiques, les économies de bouts de ficelle. Barre, lui, regarde la facture : un Super Delta 2000 à 12 ou 13 milliards “par oiseau”, c’est trop cher pour une armée de l’air qui compte ses sous. La modernité, oui, mais en version maquette, avec ruban tricolore et ciseaux dorés.
Une demi-mesure qui fait un bruit entier
Ce que raille le Canard, au fond, c’est l’élégance de façade : le pouvoir fait mine de moraliser, mais garde la prudence chevillée aux semelles. 34 % pour bloquer, pas pour diriger. Une loi annoncée pour plus tard, quand tout le monde aura eu le temps de s’organiser, de “se replier”, d’évacuer les bénéfices vers d’autres filiales, et de laisser l’État tenir la chandelle dans un hangar bien rangé. La réforme devient un art de l’annonce : “L’annonce faite à Marcel”, c’est aussi l’annonce faite au pays, et à soi-même, qu’on agit.
Sauf qu’en 1977, la France n’a pas seulement besoin qu’on parle d’ailes : elle a besoin qu’on cesse de voler en rase-mottes au-dessus des réalités. Et là, l’État actionnaire ressemble à un passager qui s’installe dans l’avion en jurant qu’il ne touchera pas aux commandes, mais qu’il “veille”. À la fin, on a un pied chez Dassault, l’autre dans les nuages, et le pilote… c’est encore la communication.





