N° 2956 du Canard Enchaîné – 22 Juin 1977
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Micros : le non-lieu du juge Pinsseau en appel
Micros au mur, non-lieu en poche, et voilà que la Justice « trouve un peu de temps »… pour réentendre l’affaire. Dans ce papier de Roger Fressoz (22 juin 1977), le procureur général Cornardeau reprend les conclusions du juge Pinsseau, mais ajoute une insinuation piquante : et si le Canard avait « machiné » sa propre écoute ? Entre secret-défense brandi comme un paravent et police qui refuse de répondre au juge, l’article transforme le « coin-coin » en alarme civique. À lire, oreilles grandes ouvertes.
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Cornardeau contre Canard, ou l’art de faire « coin-coin » avec un Code pénal
Il y a des semaines où la Justice « trouve un peu de temps ». On imagine l’institution, agenda saturé, repoussant d’un doigt distrait un cambriolage, un abus de biens sociaux, deux ou trois crimes, pour enfin se pencher sur une affaire capitale : l’appel du Canard contre le non-lieu du juge Pinsseau dans l’affaire des micros. La formule est superbe, presque attendrissante : on ne juge pas l’écoute, on juge… l’audace de s’en plaindre.
Dans le papier de Fressoz, tout est là : la solennité de la Chambre d’accusation, l’air grave du parquet, et, au milieu, cette petite odeur de couloir où l’exécutif a laissé son parfum, comme un visiteur qui n’a pas signé le registre mais a quand même touché aux interrupteurs.
Un non-lieu en forme de bâillon, et le bâillon en appel
Le dossier est rouvert, le réquisitoire du procureur général Cornardeau s’avance en majesté. Il reprend, nous dit-on, les « appréciations » et les conclusions du juge Pinsseau… puis il ajoute la pointe d’un stylo qui trempe dans autre chose que l’encre : l’insinuation. Le Canard aurait-il « organisé une machination » ? Voilà donc la victime sommée d’expliquer comment elle s’est arrangée pour avoir mal.
Le procédé est vieux comme les serrures : quand on ne veut pas trop regarder qui a posé les micros, on se demande qui a crié assez fort. Et si possible, on reproche au cri d’avoir réveillé les voisins.
Sauf que les voisins, justement, se pointent dans l’article : d’autres journalistes, alertés, sont venus sur les lieux. Alors quoi, une machination participative ? Un complot en libre-service, avec ticket de caisse et carte de presse à l’entrée ?
La « nuance » : pas des conseillers, juste des « plombiers »
Fressoz insiste sur ces « nuances » qui servent à faire passer un éléphant dans un trou de serrure. On ne dirait pas « illégal », on dirait « sans base légale ». On ne dirait pas « entrave », on dirait « secret de la défense ». On ne dirait pas « pression », on dirait « principes généraux du droit commun ». C’est la diplomatie appliquée au cambouis.
Et la boue, ici, c’est le secret-défense brandi à tout bout de champ, même quand il n’est qu’un paravent commode pour protéger non pas la Nation, mais de petits réflexes d’impunité. L’extrait cité est limpide : oui, les secrets doivent être protégés, mais non, il ne faut pas s’en servir pour mettre à l’abri des infractions. Et l’exemple « dit des plombiers du Canard enchaîné » tombe comme une clef anglaise sur le pied.
On voit alors apparaître le vrai sujet : pas seulement l’écoute, mais l’insubordination. La police qui refuse de répondre au juge, les « prétentions exorbitantes » des policiers, l’usage « désordonné et abusif » du secret professionnel. Le tableau ressemble à une pièce où l’auxiliaire s’installe dans le fauteuil du metteur en scène et explique au magistrat où poser la lumière.
Le triangle procureur-ministre-juge : les Bermudes en robe noire
Le papier rappelle, avec ce flegme canardier, qu’un parquet « aux ordres de son ministre » peut soudain avoir des fulgurances… ou des prudences. Et c’est là que le jeu de mots du titre prend tout son sens : Cornardeau contre Canard. Un duel à plumes, mais pas les mêmes. D’un côté, la plume qui gratte là où ça fait mal. De l’autre, la plume d’oie administrative, qui signe et tamponne, en espérant que le tampon fasse oublier la question.
Roland Dumas, avocat du journal, répond par un mémoire, et même par un petit coup d’aiguillon savant (un document d’un ancien haut magistrat, présenté dans un cadre comparatiste) : autrement dit, on ne débat pas seulement de « l’affaire », mais de l’idée même de Justice. Pas celle qui se contente de classer, mais celle qui accepte d’être contredite par les faits.
1977, et l’éternel retour du micro
Ce qui rend l’ensemble grinçant, c’est qu’on lit 1977 avec nos oreilles d’aujourd’hui. Les micros ont changé de taille, c’est tout : ils ont perdu le fil et gagné le sourire commercial. Mais la tentation reste la même : écouter d’abord, expliquer ensuite, et s’indigner enfin… quand l’écouté ose demander « par qui ? ».
Fressoz, lui, ne s’embarrasse pas : il espère que les juges de la Chambre d’accusation seront « moins sensibles ». Le mot claque. Sensibles à quoi ? Aux preuves, idéalement. Au téléphone rouge, parfois. Au climat du moment, souvent. Et c’est précisément pour ça que ce papier sonne juste : il ne raconte pas seulement une affaire de micros, il raconte une République où l’on voudrait que le droit marche au pas, pendant que les chaussures du pouvoir, elles, se baladent librement dans les couloirs.
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