N° 2957 du Canard Enchaîné – 29 Juin 1977
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L’exécution du droit de grâce
En juin 1977, Jérôme Carrein est exécuté, et André Ribaud dynamite la posture giscardienne : “horrifié” en discours, immobile au moment de gracier. Le droit de grâce, héritage monarchique repeint en vernis républicain, sert surtout à ne pas s’en servir… quand l’opinion grogne. Ribaud dénonce la loterie des assises, l’inégalité devant la lame, et cette manière élégante de “ne pas être pour” tout en laissant faire. Leffel résume tout : une urne en guise de panier de guillotine.
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L’exécution du droit de grâce
Il est des pouvoirs présidentiels qui sentent le vieux meuble ciré, l’héritage de famille qu’on n’ose pas jeter parce qu’il a “fait la République”. Le droit de grâce, dans l’article de Ribaud, ressemble exactement à ça : un privilège monarchique reconditionné en outil moderne, livré avec serrure, clés, et surtout avec cette notice d’emploi implicite : ne pas utiliser devant témoin.
Jérôme Carrein vient d’être exécuté (23 juin 1977). Et Ribaud prend Giscard par le col de chemise, pas pour faire pleurer dans les chaumières, mais pour pointer la pirouette politique la plus française de la Ve : être “contre” la peine de mort, tout en la laissant travailler à sa place. Le président a beaucoup parlé d’“horreur”, autrefois, en campagne, avec des intellectuels de gauche et de bons dîners en ville. Mais quand l’horreur demande une signature, il se retranche derrière l’homme d’État. Traduction canardienne : “Je désapprouve, mais je laisse faire. Et je vous prie d’applaudir ma nuance.”
Un pouvoir “hors critique” qui adore la critique
Ribaud rappelle au passage le caractère quasi sacré de la grâce : décision de vie ou de mort, supposée trancher au-dessus du vacarme, et donc… au-dessus de la critique. Idéal pour un régime qui aime la morale en vitrine et les mécanismes en coulisse. Car le droit de grâce n’est pas une politique pénale : c’est un bouton rouge, réservé au chef, et qu’on presse selon la météo de l’opinion, l’état des sondages et l’épaisseur des courriers de lecteurs.
D’où la question empoisonnée : si l’État conserve un instrument aussi exorbitant, c’est pour corriger l’injustice. Mais si le président n’ose pas corriger, alors à quoi sert l’instrument ? À décorer. À jouer au “regardez comme je pourrais être clément” tout en restant “ferme”. La grâce devient une cérémonie sans célébrant, une messe basse où le condamné tient lieu de cierge.
La loterie des assises, ou le hasard en robe noire
Ribaud enfonce le clou avec une idée qui n’a pas pris une ride : la peine de mort fabrique de l’inégalité. Selon la ville, le jury, l’époque, l’humeur, l’avocat, le nom de l’affaire, on peut perdre sa tête ou sauver sa peau. Il évoque ce parfum de loterie, ce “si Carrein avait été jugé ailleurs…” qui transforme la justice en géographie criminelle : on ne tue pas seulement un homme, on tue aussi une adresse.
Et comme toute loterie, elle a ses mythologies : on restreint la peine capitale à telle catégorie de crimes, on prétend “rationaliser” l’horreur. Ribaud ricane : on ne rend pas la guillotine plus humaine en lui donnant un périmètre. L’outil reste ce qu’il est, et le fait de le réserver à certains assassinats ne diminue pas la barbarie, il la spécialise.
La guillotine-urne de Leffel : quand le panier devient électoral
Le dessin de Leffel, avec l’urne en guise de panier, est une trouvaille cruelle et limpide : la peine de mort et la démocratie se font face, et elles se ressemblent trop. Comme si le pouvoir disait : “Je ne tue pas, c’est l’époque qui me le demande.” Et l’époque, elle, répondrait : “Je ne demande rien, je vote et tu interprètes.”
Cette urne-panier, c’est l’alibi parfait : l’exécution présentée comme une conséquence, une fatalité, une réponse à “l’opinion”. Personne ne porte la lame, tout le monde porte des gants. Le chef de l’État, lui, se réserve le luxe d’une position impossible : être moralement opposé et politiquement immobile. Ribaud traduit le résultat : on ne peut pas être à la fois pour et contre, sinon on finit… pour, en pratique.
1977 : la peine de mort comme problème politique, pas seulement pénal
On est à la fin des années 1970 : crise, tension sociale, demande d’autorité, et tentation de gouverner à coups de symboles. La peine de mort est un symbole rêvé : elle promet de l’ordre en une seule phrase, et elle évite de parler du reste. Sauf que, dans l’article, Ribaud retourne le symbole contre son propriétaire : l’exécution de Carrein ne grandit pas Giscard, elle le rapetisse, parce qu’elle exhibe la mécanique même de la Ve République quand elle a peur : l’élégance en parole, la dureté par délégation.
Et c’est là que son papier frappe juste : il ne discute pas seulement l’horreur de la peine capitale, il montre comment elle devient une scène politique. Une exécution n’est plus seulement un châtiment, c’est une communication. Et la grâce, au lieu d’être un correctif humaniste, devient un accessoire de mise en scène, rangé dans la poche intérieure du costume.





