N° 2958 du Canard Enchaîné – 6 Juillet 1977
N° 2958 du Canard Enchaîné – 6 Juillet 1977
19,00 €
En stock
Le tronc du culte et les ramifications
Excommunication ou pas ? En 1977, l’affaire Lefebvre ressemble à un bras de fer où Rome hésite, Paris calcule, et Saint-Nicolas-du-Chardonnet devient une énigme d’ordre public. Dans “La Mare aux canards”, la foi se lit aussi en anciens francs : quêtes plantureuses, réseaux très mondains, appuis discrets, et confesseur qui ressemble furieusement à un banquier suisse. Un article où le goupillon flirte avec la caisse, et où l’État attend la bénédiction pour oser le balai.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Le tronc, la crosse et le coffre-fort
Une excommunication, ce n’est pas seulement une querelle de latinistes et de guitares. En 1977, l’“affaire Lefebvre” ressemble plutôt à une scène de théâtre où l’encens se mélange aux chiffres, et où l’hostie a parfois un arrière-goût de devise helvétique. Dans cette “Mare aux canards”, tout est dit dès le titre : il y a le tronc du culte (la quête, le tiroir-caisse de la piété) et ses ramifications (réseaux, protections, amitiés haut placées, et, au bout des branches, quelques fruits bien sonnants).
Le Canard pose la question avec une fausse ingénuité très vraie : excommunication ou pas ? Rome, Paul VI et la Curie auraient plutôt envie de mollir, de lisser, de colmater. Mais l’épiscopat français, lui, pousse en sens inverse, épaulé par le cardinal Villot. Pourquoi cette fermeté soudaine ? Parce que l’excommunication, dans ce feuilleton, n’est pas seulement un châtiment spirituel : c’est un passe-partout politique. Le texte le suggère sans fard : sans “sanction”, pas de force publique, pas d’évacuation de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, et donc pas de solution simple pour Giscard, Christian Bonnet et Chirac. Autrement dit : sans paraphe romain, les serrures parisiennes restent récalcitrantes.
Saint-Nicolas-du-Chardonnet, ou la foi en occupation
Derrière la soutane, il y a le pavé. On est dans une France où l’autorité cherche déjà à marcher sur des œufs (souvent en costard), et voilà qu’une église parisienne devient un symbole d’occupation durable. L’affaire n’est pas qu’ecclésiale : elle est d’ordre public. Elle tombe au moment où la droite giscardienne promet modernité et “détente” institutionnelle, mais se retrouve sommée de choisir entre la neutralité de l’État et la tentation d’un coup de balai à l’ancienne, façon “on évacue, circulez”.
Le Canard se régale de cette gymnastique : on veut éviter le scandale, mais on veut aussi éviter l’impression d’un pouvoir faible face à des intégristes qui, eux, ne mollissent pas. Résultat : on attend Rome comme on attend une autorisation de travaux, sauf qu’ici la perceuse est théologique.
Rome calcule le schisme, Paris compte les flics
L’article rappelle que le dossier traîne à la Congrégation pour la doctrine de la foi (l’ex Saint-Office, relooké mais toujours capable de sortir les ciseaux). Problème : excommunier Lefebvre, c’est risquer de transformer une dissidence en divorce. Le Canard évoque la crainte d’un ralliement d’évêques d’Amérique latine, de quelques prélats italiens, bref d’un schisme qui prendrait de l’ampleur. Et Lefebvre, vieux routier, pourrait même “régler sa succession” : la dissidence qui s’organise, la boutique qui se transmet, le fonds de commerce qui se pérennise. L’Église redoute moins la colère que la franchise : un concurrent installé, durable, et convaincu d’être le vrai propriétaire de la marque “Tradition”.
Pendant ce temps, à Paris, on regarde moins les canons que les cadenas : excommunication = possibilité de “pas d’excommunication, pas de flics”. La théologie comme mode d’emploi du maintien de l’ordre, c’est une des spécialités hexagonales.
Le saint nerf, ou l’intégrisme en liquide
Et voici le nerf de cette guerre sainte : l’argent. Le Canard déroule, chiffres à l’appui, la collecte “Cardonnais” à Saint-Nicolas : neuf millions d’anciens francs à la quête, puis, depuis l’occupation, une quinzaine de millions supplémentaires “ici et là”. On comprend mieux le vocabulaire botanique : le tronc alimente, les ramifications prospèrent.
Les dessins plantent le décor comme des panneaux publicitaires pour une religion-casino. Un “Saint Ciboire de casino” en forme de roulette, une caricature de confessionnal-banque (“Désormais, mon confesseur et mon banquier sont en Suisse”), et cette idée, au fond, que le péché le plus actif n’est pas l’hérésie mais la comptabilité créative des dévotions. Le Canard ne dit pas “ils prient faux”, il dit “ils encaissent vrai”.
Réseaux, phalanges et patronage mondain
L’article insiste aussi sur le paysage des soutiens : au Vatican, des appuis “en douce”, des noms, des congrégations, des sympathies. En arrière-plan, une sociologie de salon, de titres, de “princesse”, de conférence bien sponsorisée et d’associations au nom impeccable (“Jeunes Français pour une civilisation chrétienne”) qui, comme souvent, sentent la naphtaline politique sous l’eau bénite. On croise l’ombre de l’Opus Dei, des ex-franquistes, des amitiés qui passent volontiers la frontière quand il s’agit d’ouvrir un compte. Le Canard fait son miel de cette internationale du goupillon musclé, où l’on pourfend la modernité à coups de tracts flambant neufs.
Tout cela compose un portrait grinçant : une contestation religieuse qui prend les manières d’un lobby, une guerre de rites qui emprunte les réflexes d’une caisse noire, et un État qui attend un tampon romain pour savoir s’il doit envoyer des agents ou des cierges.





