N° 2960 du Canard Enchaîné – 20 Juillet 1977
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L’affaire des micros du Canard (suite) : Un jugement à tout casser
En juillet 1977, l’affaire des micros du Canard se termine en pirouette judiciaire: la Chambre d’accusation confirme le non-lieu du juge Pinsseau. Fressoz démonte un jugement qui semble surtout reprocher au journal d’avoir fait… du journalisme: trop d’insistance, trop de noms, trop de bruit. Pendant que la DST récolte les compliments pour sa « coopération », le dossier, lui, se dissout dans l’absurde (un fil de 20 mètres? peut-être pour un rasoir…). Reste la cassation, dernière bouée ou dernier gag.
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Un jugement à tout casser… surtout le dossier
On appelle ça « l’affaire des micros », mais en juillet 1977, on devrait plutôt parler d’une affaire des bouchons. Bouchon juridique, bouchon politique, bouchon de liège planté dans l’oreille de la vérité. Quatre ans après la nuit où des « plombiers » furent cueillis en flagrant délit d’installation de micros au Canard (le fameux « Watergaffe »), le feuilleton continue à se dérouler comme un interrogatoire mené par un magnétophone sans piles. (Le Monde.fr)
Et voici le clap de cette semaine: la Chambre d’accusation confirme le non-lieu rendu par le juge Pinsseau. Non-lieu, donc: circulez, il n’y a rien à entendre. Le Canard, lui, entend autre chose: un jugement « à tout casser ». Comprendre: à casser l’idée même qu’on puisse demander des comptes à l’État quand il se penche sur une rédaction avec une boîte à outils et une notion élastique du secret.
La justice se vexe, le Canard trinque
Ce qui hérisse Fressoz, ce n’est pas seulement le non-lieu, c’est la musique d’accompagnement. Car le texte ressemble moins à une décision sereine qu’à une petite leçon de maintien adressée au journal: vous nous avez « embarrassés », « dérangés », vous avez fait du bruit, vous avez nommé des gens, vous avez insisté. Bref, vous avez fait votre métier et c’est très désagréable pour le confort capitonné des institutions.
Résultat: la Chambre ne se contente pas de blanchir l’affaire, elle tance le Canard comme un élève trop curieux. Et le renversement est savoureux: au lieu de s’acharner sur ceux qui ont posé des micros, on reproche au micro… d’avoir crié.
L’enquête au ras du fil électrique
Le morceau de bravoure, c’est la démonstration « matérielle ». Le Canard a beau pointer une intrusion nocturne, des travaux non prévus, une opération qui sent la DST à plein nez, la Chambre s’emploie à rapetisser le tout, façon puzzle qu’on remet dans la boîte en écrasant le couvercle.
Et quand il faut expliquer des éléments concrets (le fil, les installations), on glisse vers l’absurde: ce fil de vingt mètres n’était peut-être pas destiné à recevoir des micros… il pouvait servir à un rasoir électrique. Voilà donc la police politique requalifiée en club de bricolage. On imagine déjà le communiqué: « Nous n’espionnons pas la presse, nous testons des multiprises. »
Cerise sur la robe: les insinuations « basses et injurieuses » qu’on reproche au Canard… tout en laissant courir, dans le même souffle, des soupçons minables visant une concierge. La morale judiciaire devient un parapluie troué: il protège toujours du même côté.
Éloge des “plombiers” et blâme du journaliste
Autre pointe d’ironie noire: la Chambre réserve des fleurs aux policiers de la DST. Discrets, polis, coopératifs. Des témoins parfaits. Des modèles. La justice, ici, semble goûter davantage la bonne tenue des agents que la question de savoir pourquoi des agents posent des micros. Le maintien avant le motif. Le protocole avant le scandale.
Et le juge Pinsseau? Fressoz note que la Chambre le dépeint en maître de son information, libre, indépendant… mais pas au point de froisser l’architecture générale. Indépendant, oui, à condition de l’être dans le sens du courant.
La cassation comme bouée… ou comme dernier gag
Le dossier est « définitivement clos », écrit Fressoz, sauf qu’il reste la cassation. On sent la rédaction qui s’accroche à l’ultime marche: la Cour de cassation, ce grand escalier où l’on monte souvent pour redescendre avec une formule latine et un sourire crispé.
Le Canard brandit alors un texte de juriste (Combaldiou) qui évoque l’insubordination de la police à l’égard de la justice, et ce parfum de « déni de justice » que l’opinion publique respire quand on lui demande d’avaler le non-lieu comme un sirop calmant. La Chambre, elle, reste « insensible ». Insensible: le mot est élégant, presque tendre. On dirait un diagnostic de marbre.
Ce que raconte ce papier, au fond, c’est une mécanique durable: quand l’État espionne, l’État se justifie; quand un journal révèle, le journal « dérange ». En 1973, on parle de « Watergaffe »; en 1977, on constate que l’eau a fini par gaffer la justice elle-même, en la rendant prudente, chatouilleuse, et prodigue en sermons pour ceux qui ne se taisent pas. (Le Monde.fr)





