N° 2968 du Canard Enchaîné – 14 Septembre 1977
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Les printemps de la Veuve
En septembre 1977, la France “moderne” se découvre encore très adroite… avec une lame. Dans “Les printemps de la Veuve”, Patrice Vautier et quatre dessinateurs (Honguet, Moisan, Kerleroux, Vazquez de Sola) démontent la posture giscardienne: contre la peine de mort, mais pas au point de gracier; humaniste, mais à condition que “les Français soient mûrs”. Score des exécutions, dialogue sous le couperet, Peyrefitte jaloux d’Amin Dada: une comédie noire où la République compte les têtes pour mieux perdre la sienne.
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Trois têtes et un scrupule en papier mâché
L’automne 1977 a beau porter des feuilles, il ramasse surtout des lames. Le 10 septembre, Hamida Djandoubi passe sous la guillotine: la France vient de rappeler, avec une ponctualité de bourreau, qu’elle sait encore “faire fonctionner” ses antiquités. Et voilà que Patrice Vautier, dans “Les printemps de la Veuve”, transforme l’actualité en herbier: quatre dessins, quatre saisons, et toujours la même fleur noire au bouton… tranchant.
On est sous Giscard, président “moderne”, sourire télé, dîners en ville, et cette manie d’avoir des scrupules… à condition qu’ils ne signent rien. L’article, comme un greffier goguenard, note le ballet des postures: on “déteste” la peine de mort, mais on la laisse faire. On la trouve abominable, mais on la juge “inévitable”. On promet une réflexion, puis on appelle l’huissier. La Veuve, elle, ne réfléchit pas: elle coupe.
Les dessins: un procès en quatre vignettes
Honguet ouvre le bal en roi de pique: Giscard en souverain de carte, celui qu’on croit tiré d’un jeu de salon, mais qui distribue des têtes comme d’autres des atouts. "Je pense déjà à leur envoyer le quatrième, pour la belote".
Moisan, lui, fait compter le score: “Et de trois, je bats Pompidou d’une tête.” La blague est atroce parce qu’elle est comptable. Une exécution devient un record, une comparaison sportive, un petit tableau de chasse républicain. La modernité giscardienne finit en concours de décapitation, rubrique “performance”.
Kerleroux pousse la scène au théâtre d’ombres: Giscard discute avec un condamné déjà couché sous le couperet. Le condamné: “Je suis contre la peine de mort.” Réponse présidentielle: “Moi aussi mais les Français ne sont pas mûrs.” Là, tout est dit: la morale au conditionnel, la conscience en croupe, et la souveraineté transférée… à la rumeur. Le chef de l’État se fait porte-parole d’une maturité collective qu’il juge toujours pour demain, comme si l’abolition était un fruit qu’on laisse pourrir sur l’arbre, par prudence de marché.
Et Vazquez de Sola ramène Peyrefitte dans la pièce, commentant la presse: “Rien à faire, Amin (Dada) reste le plus fort.” En brandissant des journaux titrant "L'Ouganda 15 exécutions" et "La France 1 guillotiné".
Le truc le plus propre: se salir les mains à distance
Vautier vise juste: l’époque adore la propreté. On veut des décisions sans odeur. Le “droit de grâce” sert alors d’alibi à l’inaction: on peut gracier, donc on est humain; et si on ne gracie pas, c’est qu’on a “pesé”, “écouté”, “consulté”. Le président se présente comme arbitre, alors qu’il tient la manette. Ce n’est pas la justice qui exécute: c’est l’État qui signe, puis se lave les mains avec l’encre.
La phrase “les Français ne sont pas mûrs” est un chef-d’œuvre de ventriloquie. Elle permet tout: conserver la peine de mort en se disant contre, laisser tomber une tête en gardant un air triste. La Veuve devient une fatalité sociologique. Et pendant qu’on attend la maturité du peuple, on expédie des condamnés comme des colis “non réclamés”.
1977: le dernier printemps de la Veuve… avant l’hiver politique
On sait, nous, la suite: l’abolition arrivera en 1981, portée par Badinter, votée dans un pays qui se croyait encore “pas mûr” la veille. En 1977, on est dans l’entre-deux le plus mauvais: l’exécution existe encore, mais elle gêne l’image. On ne la montre pas, on la cache, on la maquille en procédure, on la glisse au petit matin. Plus c’est discret, plus c’est acceptable. C’est l’horreur en pantoufles.
“Les printemps de la Veuve” est une chronique de cette hypocrisie-là: celle qui se croit civilisée parce qu’elle ne hurle pas. La satire fait exactement l’inverse: elle hurle proprement. Elle met un roi de pique, un podium de têtes, un dialogue sous la lame, et un ministre qui se console en comparant son bilan à celui d’un dictateur. Résultat: la France de 1977 ressemble à un pays qui veut garder sa guillotine comme on garde un vieux meuble de famille: “c’est affreux, mais ça fait partie du salon”.





