N° 2971 du Canard Enchaîné – 5 Octobre 1977
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Les pirates du « zinc »
5 octobre 1977: un “pirate” détourne une Caravelle et réclame dix minutes d’antenne. Réponse de l’État: assaut, grenades “défensives”, un mort, cinq blessés. Gabriel Macé démonte la fable héroïque: on a tué pour éviter un message qui ressemblait surtout au “ras-le-bol” des bistrots. Vazquez de Sola résume l’hypocrisie: un policier, fusil fumant, explique à la TV que “ces fous-là” feraient n’importe quoi pour passer à l’antenne. Silence radio, donc. Coûte que coûte.
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Dix minutes d’antenne, une grenade de trop
Le billet de Gabriel Macé a l’élégance du coup de louche dans une marmite de bon sens: il remue, ça déborde, et ça brûle là où ça ne veut surtout pas sentir. Nous sommes le 5 octobre 1977, au cœur d’une époque où l’ordre public se prend pour une religion, avec ses saints, ses excommunications et ses processions de fourgons. Et voilà qu’un “pirate”, Jacques Robert, détourne une Caravelle Paris-Lyon et réclame… dix minutes d’antenne. Dix minutes. Pas un ministère, pas une amnistie, pas un porte-avions. Dix minutes pour parler à la France.
Réponse de l’État: assaut. Bilan: un mort, cinq blessés. Macé, lui, n’achète pas la légende du héros en képi. Il regarde la facture et demande: on a tué pour éviter un discours de bistrot?
Le “pirate du zinc”, ou la peur de la parole
Le texte pointe un détail qui, en politique, n’en est jamais un: le contenu exact du message. Macé rappelle ce que Le Journal du Dimanche rapporte: ce laïus exprimerait surtout le “ras-le-bol” que “certains Français” lâchent déjà au comptoir. Autrement dit: la dynamite n’est pas dans les phrases, elle est dans l’idée qu’elles passent à l’antenne.
Car c’est bien cela, le nerf de l’affaire. L’État, à la rigueur, encaisse un forcené. Ce qui l’irrite, c’est le micro. Il peut négocier une reddition, il supporte moins une tribune. Un homme armé, on sait le neutraliser. Un homme qui parle, surtout s’il parle “comme au café”, ça contamine, ça circule, ça fait école. Et en 1977, la République préfère mille fois une blessure propre à une contagion d’opinion.
Macé a cette cruauté simple: si ce “pirate” est “déséquilibré”, l’assaut est une loterie, et la loterie a tiré une balle noire.
Bonnet-d’Âne, Broussard et les grenades “défensives”
Tout le monde en prend pour son grade, et ce n’est pas un exercice d’amabilité. Le préfet Pérrier est décrit comme un homme à poigne, “du pschitt”, de la fermeté pétillante. Macé le compare au préfet Jannin Whiskey de Malville, comme si la France des années Giscard carburait aux sobriquets et aux ordres secs, avec un glaçon dans la conscience.
Le commissaire Broussard, de l’antigang, apparaît en accélérateur de décision, et Christian Bonnet-d’Âne (le Canard ne rate jamais l’occasion de rebaptiser les puissants) fournit la “philosophie” du moment: si ça doit crever, que ça crève. Voilà donc la doctrine: le risque, c’est pour les autres; la fermeté, c’est pour les communiqués.
Et Macé enfonce le clou avec l’ironie qui fait mal: ces fameuses grenades “défensives”, tellement “généralement utilisées” qu’on finit par les croire naturelles, comme la pluie ou les impôts. Sauf que la pluie ne choisit pas ses victimes.
L’image de Vazquez de Sola met la morale au tableau: un policier, le pied sur des cadavres, le fusil encore fumant, explique aux caméras: « Ces fous-là feront n’importe quoi pour dix minutes d’antenne. » Renversement parfait: l’accusation se retourne comme un gant taché. Dix minutes d’antenne? Ici, c’est l’État qui vient de faire n’importe quoi pour un silence de dix minutes.
Le vrai danger: qu’on entende ce qu’on sait déjà
Le billet a l’air de parler d’un fait divers spectaculaire. En réalité, il parle d’une obsession durable: maîtriser la bande-son du pays. Les ondes, ce n’est pas seulement de l’information, c’est une autorité en concurrence. Dans une France qui se crispe sur la sécurité, qui a peur de la violence politique et des gestes spectaculaires, le pouvoir veut des images d’ordre, pas des paroles d’alcool triste. Il tolère le “ras-le-bol” tant qu’il reste au zinc. Qu’il passe sur Europe 1 ou Radio Monte-Carlo, et le zinc devient une tribune.
D’où la conclusion acide de Macé: “Silence, les pirates du zinc!” On ne combat pas seulement un homme, on combat la possibilité qu’un mécontentement se mette à voyager plus vite que les consignes préfectorales.
Et la chute, magnifique de pingrerie nationale: si l’on en croit La Lettre de l’Expansion, Giscard s’apprêterait à lancer une brigade “anti-alcoolique”. Après l’antigang, l’antigorge sèche. Comme si l’État, incapable d’entendre le pays parler, préférait lui retirer le verre.
“Et un Pérrier, un!” La meilleure blague est la plus froide: une eau gazeuse pour baptiser la fermeté. Ça pétille, ça monte au nez, et ça finit en mousse sur un bilan.





