N° 75 du Canard Enchaîné – 5 Décembre 1917
N° 75 du Canard Enchaîné – 5 Décembre 1917
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APPEL AU PAYS
À la Chambre, Maurice Barrès se rêve tribun inspiré, invoquant Jeanne d’Arc et tendant le bras au « peuple ». Mais pour Le Canard enchaîné, il n’est qu’un cabotin qui s’écoute parler, un orateur creux dont les éclats frisent le ridicule. Georges de La Fouchardière s’en donne à cœur joie, tandis que Gassier croque un hémicycle assoupi face au grandiloquent Barrès. Entre satire mordante et dessin acéré, l’« appel au pays » tourne à la farce : le patriote tonitruant est réduit à un acteur de second rôle.
APPEL AU PAYS, dessin de H-P Gassier
Les bourreurs de crânes, par Maurice Maréchal
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L’édition du 5 décembre 1917 offre une charge d’une rare vivacité contre Maurice Barrès, cible privilégiée du Canard enchaîné depuis plusieurs mois. Une plume, celle de Georges de La Fouchardière, s’y emploie, appuyée par le crayon ironique de H.-P. Gassier. À travers eux, c’est toute la mécanique du nationalisme rhétorique et creux que le journal s’emploie à démonter.
Le dessin de Gassier, en ouverture, condense le propos : Barrès, bras tendu, figure démesurée d’un tribun théâtral, déclame face à une Chambre où les députés apparaissent apathiques, englués dans leur ennui ou leur désintérêt. La légende, « Cet homme n’est pas de mon parti… il ne m’admire pas… c’est donc un traître ! », ramasse en une pique la logique manichéenne que le Canard reproche à l’orateur nationaliste : réduire le débat politique à un affrontement d’adhésion ou de trahison, sans nuance ni contradiction.
L’article de La Fouchardière prolonge ce coup de griffe en décrivant un Barrès s’écoutant parler, comme un chanteur d’opéra répétant ses airs favoris devant un public contraint. Le député, raconte-t-il, osa un geste en direction du « peuple » — un signe d’intelligence, prétend-il — que ses collègues interprétèrent comme un appel subversif, provoquant une véritable scène d’indignation à la Chambre. La Fouchardière s’amuse de cette confusion, mais insiste : en trois ans, Barrès n’a jamais offert le moindre « signe d’intelligence », se bornant à recycler des invocations à Jeanne d’Arc et des postures emphatiques, toujours vides de contenu.
Il enfonce le clou en l’opposant aux « géants de la Convention ». Là où Danton ou Robespierre savaient tonner pour mobiliser la nation, Barrès se contente de cabotinages lyriques, incapables de porter autre chose que l’écho de son ego. Le Canard trace ainsi une filiation ironique : Barrès se rêve tribun de salut public, mais il n’est que l’ombre d’un grand homme, un bateleur réduit à jouer la comédie dans une assemblée lasse.
En réunissant cette voix et ce dessin, l’édition orchestre une véritable mise à nu : l’« appel au pays » de Barrès n’est qu’une pantomime. Le Canard enchaîné, en contrepoint, se pose comme le lieu où l’intelligence critique, l’humour et la satire offrent une autre voie : celle de la lucidité face aux dérives de l’orateur nationaliste, enfermé dans sa rhétorique patriotarde.
Dans sa chronique des Bourreurs de crânes du 5 décembre 1917, Maurice Maréchal prend pour cible l’Écho de Paris et l’un de ses chroniqueurs vedettes, Pertinax (André Géraud). Celui-ci s’était aventuré à donner un chiffre « scientifique » sur la récolte de lin en Russie, en l’exprimant dans une unité de poids peu connue en France : le poud. Selon Pertinax, un poud équivaudrait à mille kilos. Or, précise Maréchal, la réalité est tout autre : le poud correspond à 16 kilos et 381 grammes. L’erreur est donc énorme : elle multiplie artificiellement par plus de soixante le volume de production annoncé.
Ce n’est plus de l’approximation, mais une véritable manipulation statistique, un exemple parfait de ce « bourrage de crâne » que Maréchal traque semaine après semaine. Derrière l’allure sérieuse des chiffres, l’intention est claire : impressionner le lecteur en gavant la presse française d’informations invérifiables, destinées à détourner l’attention des réalités militaires et économiques du moment.
L’ironie est savoureuse : ce même Pertinax, moqué pour ses bourdes journalistiques, rejoindra quelques années plus tard le Canard enchaîné (1925-1929), preuve que la satire sait parfois recycler ses anciennes cibles. Cet épisode montre surtout que Maréchal ne se contente pas de dénoncer la propagande grossière : il démonte aussi les rouages de la pseudo-expertise, ces chiffres brandis comme arguments d’autorité mais vidés de tout sens dès qu’on gratte un peu.

 
      



