N° 76 du Canard Enchaîné – 12 Décembre 1917
N° 76 du Canard Enchaîné – 12 Décembre 1917
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Dans le No Man’s Land
Le pape, médiateur improbable de la Grande Guerre ? Dans son No Man’s Land, Gaston de Pawlowski imagine avec un humour ravageur ce que donneraient les propositions de paix venues du Vatican. Entre collections d’art menacées de bombardement et avenir radieux… derrière soi, la papauté se retrouve tournée en dérision, reflet d’un temps où le pouvoir spirituel perd pied dans les convulsions politiques.
La grande colère du petit garçon, dessin de Foy – Vous voulez chasser le cafard ? Lisez le Canard Enchainé… , dessin de Marcel Arnac – Inutilités, dessin de Depaquit –
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Dans cette livraison du No Man’s Land, Gaston de Pawlowski choisit pour cible un acteur inattendu de la scène internationale : le pape. L’annonce relayée par la presse selon laquelle le Vatican s’apprête à renouveler ses propositions de paix sert de point de départ à une méditation satirique où l’humour naît de l’écart entre la gravité des circonstances et la vacuité des solutions offertes.
Dès l’ouverture, l’auteur feint d’accueillir favorablement l’initiative pontificale. « Je crois que nous aurions tort de ne pas les accueillir », écrit-il avec ce ton faussement sérieux qui installe d’emblée la distance ironique. Pourquoi refuser la paix du pape ? Après tout, souligne-t-il, il serait bien dommage de se brouiller avec les « États de l’Église » – référence anachronique qui ridiculise d’entrée de jeu l’importance que l’on pourrait prêter à ce pouvoir spirituel déclinant. Plus encore, ajoute Pawlowski, il serait regrettable de bombarder le Vatican « à cause des collections qui s’y trouvent ». La formule frappe par son absurdité grinçante : alors que des millions d’hommes meurent au front, l’auteur suggère que ce qui mérite vraiment d’être sauvé, ce sont les musées.
Mais le cœur de la charge tient dans une pirouette : si l’on donnait la paix au pape, « il nous la rendrait à son tour », dit Pawlowski. L’image du troc renverse la logique diplomatique : ce qui se voulait un geste de médiation universelle devient un simple échange de bons procédés, à la limite du marchandage. En tournant ainsi en ridicule les grandes paroles de paix, l’auteur montre à quel point elles apparaissent hors-sol, sans prise sur la réalité d’une guerre totale.
La phrase la plus assassine vient un peu plus loin : « La papauté a maintenant, du reste, un bel avenir derrière elle. » Tout l’art du trait satirique réside dans ce type de formule, qui concentre en quelques mots le déclin d’une institution autrefois puissante mais désormais reléguée au rôle d’ornement. Derrière la plaisanterie perce une analyse politique : en 1917, l’Église n’a plus la même influence qu’en 1914, où son encadrement moral des campagnes françaises avait encore une réelle portée. Pawlowski rappelle que, lors de l’invasion, le clergé jouissait d’une excellente réputation auprès des populations rurales. Et de lancer une uchronie mordante : que se serait-il passé si, au lieu de partir pour Bordeaux, le gouvernement français en exil avait vu le pape s’installer à Paris ? Ce jeu de l’histoire réinventée souligne combien les temps ont changé, et combien le religieux est désormais marginalisé dans la conduite des affaires.
À travers cet article, Pawlowski ne se contente pas de railler la papauté. Il élargit sa cible à toute tentative de discours moralisateur ou conciliateur dans un monde livré au fracas des armes. Les proclamations de paix venues de Rome paraissent non seulement inefficaces mais presque grotesques, comme si l’on tentait de plaquer des incantations spirituelles sur une réalité dominée par la puissance brute.
Cette chronique illustre ainsi la fonction que s’assigne Le Canard enchaîné : pointer les contradictions, démonter les illusions, ridiculiser ce qui se prend trop au sérieux. En inscrivant la papauté dans son No Man’s Land, Pawlowski montre que même les institutions les plus sacrées ne sont pas à l’abri du rire satirique.
Les propositions de paix du pape Benoît XV (1917)
En août 1917, le pape Benoît XV, élu en septembre 1914 au début de la guerre, adresse aux gouvernements belligérants une « Note de paix » devenue célèbre. Le souverain pontife, qui depuis son élection multipliait déjà les appels à la réconciliation, tente alors de formuler une base concrète pour mettre fin au conflit.
La note papale propose :
- 
un désarmement général, pour éviter de futures guerres ; 
- 
un arbitrage international, garant de la paix entre nations ; 
- 
la liberté des mers, contre les blocus ; 
- 
la restitution des territoires occupés, sans mention précise de l’Alsace-Lorraine ; 
- 
une solution négociée pour les litiges territoriaux, notamment en Europe centrale et orientale. 
Si l’initiative est marquée par une réelle volonté humanitaire, elle est accueillie fraîchement, voire avec hostilité. En France, la presse et l’opinion dénoncent un texte jugé trop favorable aux Puissances centrales, d’autant que Benoît XV ne condamne jamais explicitement les agressions allemandes. L’absence de référence explicite à la restitution de l’Alsace-Lorraine est perçue comme une provocation.
Pour les Alliés, cette note apparaît comme une naïveté diplomatique : l’heure est encore à la victoire militaire, non à la négociation. Quant à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, elles y voient un instrument utile pour alimenter la propagande pacifiste, mais sans véritable volonté d’y donner suite.
L’échec de cette tentative consacre l’isolement diplomatique du Vatican, réduit à un rôle moral sans prise réelle sur les décisions politiques. Dans l’opinion française, la papauté est même soupçonnée de sympathies pour l’ennemi, ce qui nourrit la verve satirique d’un Pawlowski dans Le Canard enchaîné.

 
      



