N° 113 du Canard Enchaîné – 28 Août 1918
N° 113 du Canard Enchaîné – 28 Août 1918
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En voiture ! – Plus fort que Ze Morningue
En 1918, Le Canard s’amuse comme un gosse dans un wagon de la gare de l’Est : Rodolphe Bringer épingle l’obsession du Matin, rebaptisé « Ze Morningue » pour ses cours d’anglais maison, pendant que Whip raille les annonces ferroviaires plus incompréhensibles qu’un sermon de cardinal enrhumé. Résultat : des gares où l’on descend par erreur à cause du vacarme des portières, et des journaux qui transforment l’alphabet en puzzle linguistique.
Dans les Bégonias – Nos feuilletons – « Concours d’échos pour L’Intran »
Conscrit, dessin de Lucien Laforge – Un essai, dessin de Raoul Guérin
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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L’édition du 28 août 1918 du Canard enchaîné est un petit bijou de railleur bon sens : elle prouve que, même en pleine guerre, la presse savait trouver matière à rire des absurdités quotidiennes. Deux articles s’y répondent comme les wagons bringuebalants d’un même train : d’un côté Rodolphe Bringer (R.B.), de l’autre Whip, chacun y allant de sa façon de dynamiter le sérieux ambiant.
Chez Bringer, l’affaire part d’une rivalité cocasse entre journaux. Le Matin avait trouvé une recette miracle : trois cents mots suffiraient, paraît-il, pour parler anglais. Voilà qui est déjà plus pratique qu’une grammaire en dix volumes. Mais Excelsior a voulu faire mieux et a découvert… l’alphabet. Vingt-six lettres, une par une, deux par jour, et dans moins de deux semaines, ses lecteurs pouvaient « écrire anglais » comme Shakespeare (ou presque). Bringer feint de s’émerveiller de cette trouvaille, rappelant que l’important n’est pas de comprendre, mais d’écrire des O-W et des C-Q avec un air entendu. On croirait presque lire une méthode Assimil écrite par un clerc de notaire sous chloroforme.
À cette première couche d’ironie linguistique s’ajoute la verve ferroviaire de Whip. Le dessinateur, ici chroniqueur, observe que les employés des chemins de fer crient les noms de stations avec un tel baragouin que même un Anglo-Américain débarqué à Saint-Nazaire comprend mieux que le Français qui prend son train tous les matins. Entre le vacarme des portières et les annonces criées, le voyageur se retrouve soit coincé dans son compartiment, soit descendu sur le mauvais quai – ce qui, pour un poilu en permission, équivaut à une tragédie. Whip propose une solution absurde : enseigner aux cheminots le français, puis l’anglais, puis l’italien, le serbe, le guatémalien (oui, même ça !), afin de satisfaire tous les alliés. Résultat garanti : les trains ne partiront plus jamais à l’heure, mais au moins, chacun aura appris deux langues mortes entre Montparnasse et Versailles.
Ces deux satires, juxtaposées, montrent à quel point le Canard excellait dans l’art de transformer les petits travers de la presse ou de l’administration en machines à rire. En dénonçant la vacuité pédagogique d’Excelsior et l’inefficacité ferroviaire, Bringer et Whip offraient un miroir grotesque à une société engluée dans ses contradictions. La guerre, en arrière-plan, rendait ces chroniques encore plus piquantes : quand les canons tonnent, il reste toujours un peu de souffle pour se moquer des journaux et des trains.





