N° 216 du Canard Enchaîné – 18 Août 1920
N° 216 du Canard Enchaîné – 18 Août 1920
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L’école des nouveaux riches – Introduction à la vie de château.
Château, carpes, invités encombrants et airs de cor de chasse : en août 1920, La Fouchardière dresse dans Le Canard enchaîné un portrait féroce des « nouveaux riches » qui s’achètent une demeure pour singer l’aristocratie disparue. Derrière l’humour, une critique mordante des illusions sociales de l’après-guerre et de la bourgeoisie triomphante.
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Dans son article du 18 août 1920, Georges de La Fouchardière se livre à une véritable leçon de « savoir-vivre » satirique intitulée Introduction à la vie de château. Parodiant les manuels de bonnes manières, il imagine le guide pratique destiné aux enrichis de la Grande Guerre qui, à défaut de titres, s’achètent un château pour mimer l’aristocratie en ruine. Ce texte s’inscrit dans un contexte où, à la sortie du conflit, une nouvelle bourgeoisie industrielle et commerçante affiche sans complexe ses fortunes, contrastant avec la misère ouvrière et paysanne.
Le procédé est simple : décrire sur un ton sérieux les étapes nécessaires pour « réussir » sa nouvelle vie de châtelain. L’achat du château n’est pas affaire de goût mais de mode : mieux vaut une bâtisse Renaissance qu’un vieux donjon féodal, sauf à passer pour un original. L’extérieur doit être flanqué de terrains secs où l’on aménage un « tennis » ou un « golf », autant de signes extérieurs de distinction qui trahissent, en réalité, un vide culturel et une totale absence de tradition.
À l’intérieur, il ne faut pas oublier le cor de chasse – même si l’on ne sait pas s’en servir – et, bien sûr, un piano. Mais l’essentiel n’est pas l’ameublement, c’est le recrutement des invités. Là, La Fouchardière excelle dans l’ironie. Il détaille les catégories à éviter : l’invité qui connaît l’agriculture, parce qu’il ne cesse de parler de luzerne ou de moutons ; celui qui connaît les champignons, qui ramène des espèces immangeables ; ou encore celui qui s’y entend en chevaux et part seul en forêt à six heures du matin, obligeant l’hôte à courir après sa monture. Sans oublier l’invité noctambule, en pyjama, qui erre dans les couloirs à la recherche d’un livre ou d’un remède…
Cette galerie grotesque culmine dans l’évocation des personnages obligatoires de la demeure convenable : un évêque, un général et, pour meubler les longues soirées, les œuvres pieuses de René Bazin, écrivain catholique conservateur alors en vogue. Le « mode d’emploi » du château devient ainsi une satire sociale redoutable : il ridiculise l’ostentation de cette bourgeoisie montante, qui singe les aristocrates déchus sans en posséder ni les codes réels, ni l’aisance véritable.
En 1920, cette charge résonnait fortement : le pays sortait d’une guerre où les anciens nobles avaient souvent perdu leurs héritages, tandis que de nouveaux « parvenus » se hissaient dans la hiérarchie sociale grâce aux marchés de guerre et à la spéculation. La Fouchardière, fidèle à son style, en fait un miroir déformant mais révélateur : derrière le comique, la critique politique et sociale est implacable.