N° 233 du Canard Enchaîné – 15 Décembre 1920
N° 233 du Canard Enchaîné – 15 Décembre 1920
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Une formidable affaire cinématographique : ce n’était pas un bluff
Quand le cinéma s’achetait à coups de milliards : l’affaire Himmel, ou le bluff de l’après-guerre
Décembre 1920 : un jeune Américain installé à Paris promet d’acheter toutes les salles françaises avec des capitaux venus d’outre-Atlantique. Milliard à l’appui, lettres de recommandation douteuses et promesses faramineuses. Maurice Coriem, plume acérée du Canard, raconte cette « formidable affaire » qui en dit long sur la crédulité des milieux financiers et la fascination qu’exerçait alors le cinéma.
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Le 15 décembre 1920, Le Canard enchaîné met en lumière un épisode qui aurait pu prêter à sourire s’il n’avait pas révélé la fragilité d’un secteur en plein essor : le cinéma. Maurice Coriem consacre un long article à l’affaire André Himmel, ce jeune homme d’une vingtaine d’années qui, à Paris, prétendait avoir fondé une société colossale, la Franco-American Cinematograph Corporation, au capital… d’un milliard. L’ambition affichée ? Racheter les salles françaises avec des capitaux américains, et les intégrer à un vaste empire transatlantique.
Dans un pays où le cinéma n’a encore qu’une vingtaine d’années mais attire déjà des millions de spectateurs chaque semaine, l’annonce fait sensation. L’après-guerre est marqué par l’explosion des loisirs de masse, l’influence grandissante d’Hollywood et l’inquiétude des milieux culturels français face à l’invasion de la production américaine. Himmel tombe donc à pic : son projet se présente comme une promesse d’intégration dans un système mondial, mais aussi comme une menace pour l’indépendance de l’industrie nationale.
Coriem s’attache à démonter la mécanique de ce « bluff ». Himmel, explique-t-il, se dit adoubé par le gouvernement, fort de lettres de recommandation qu’on découvrira truffées de fautes et de maladresses. On le présente comme « israélite », « métèque », bref, comme un intrus dans un univers où l’antisémitisme et la méfiance vis-à-vis des étrangers servent de raccourcis commodes pour discréditer. Mais le Canard ne se contente pas de railler : il insiste sur le rôle des appuis institutionnels. De Benoît-Lévy, figure du cinéma français, jusqu’à Albert Dalimier, ancien sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, tout un réseau d’honorabilités est mobilisé pour garantir la « respectabilité » du jeune homme.
Le texte joue sur l’ironie : plus Himmel accumule les cautions prestigieuses, plus la supercherie paraît énorme. « Ce bluff est très sérieux », écrit Coriem, résumant parfaitement la situation : une affaire invraisemblable qui parvient pourtant à convaincre des esprits réputés avertis. L’époque est à la fois à la spéculation effrénée et à la fascination pour l’Amérique, symbole de puissance économique et de modernité culturelle. Le cinéma, industrie encore fragile, devient un terrain rêvé pour les aventuriers de la finance.
Historiquement, cette affaire éclaire aussi l’état d’esprit d’une France d’après-guerre. Les illusions de prospérité se mêlent aux inquiétudes sur la dette et la reconstruction. Dans ce contexte, l’idée qu’un milliard de capitaux étrangers puisse affluer paraît séduisante — trop séduisante pour ne pas susciter des excès de crédulité. Le rôle du Canard est ici de rappeler, par la satire, que la frontière entre promotion, propagande et escroquerie peut être bien mince.
Au-delà de la moquerie dirigée contre Himmel, l’article de Coriem est donc une charge contre un système : celui des institutions promptes à s’enthousiasmer pour des chimères, celui des financiers toujours à l’affût d’un « coup », celui d’une France qui rêve d’Hollywood mais redoute de perdre son âme. Comme souvent dans les colonnes du Canard, l’anecdote révèle une vérité plus large : la comédie du pouvoir et de l’argent, toujours prête à rejouer, sur la scène économique, une pièce où le spectateur reste le citoyen, bon public d’un spectacle dont il paie l’entrée.





