N° 346 du Canard Enchaîné – 14 Février 1923
N° 346 du Canard Enchaîné – 14 Février 1923
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14 février 1923 : quand M. Chéron baptise la République
Un ministre, une nourrice, un veau et un sermon sur la “décantation agricole”
Sous la plume moqueuse de Jules Rivet, Le Canard enchaîné du 14 février 1923 transforme une inauguration rurale en farce républicaine. Le ministre de l’Agriculture Henry Chéron y joue les parrains d’un veau de concours — ou d’un symbole — dans une France qui se rêve laborieuse et vertueuse, mais qui n’en finit pas de patauger dans le fumier administratif.
La police se modernise, dessin de Lenoir –
Charnière manquante sur une moitié de la hauteur
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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En pleine occupation de la Ruhr, alors que la France de Poincaré se veut ferme à l’extérieur et rassurante à l’intérieur, Le Canard enchaîné du 14 février 1923 offre une scène champêtre d’un autre ton : celle du ministre Henry Chéron présidant au baptême d’un veau, “fruit” d’un concours de décentralisation agricole. L’article signé Jules Rivet — « M. Chéron est parrain d’un nouveau-né » — est une comédie à la Molière : la République, pour se donner bonne conscience, célèbre ses rituels symboliques sur le mode de la farce villageoise.
Le récit, conduit comme un reportage solennel, tourne rapidement à la satire. Rivet joue du contraste entre la pompe du cérémonial et le ridicule de la situation : un ministre tout sourire, une foule de paysans, un curé plein de zèle, une nourrice émue et un “nouveau-né” à quatre pattes. Dans le ton faussement grave du chroniqueur officiel, tout respire le double sens : le “baptême” devient une caricature du culte républicain, celui d’une France rurale que le pouvoir flatte mais ne comprend plus.
Rivet excelle à faire sentir ce décalage. Chéron — figure typique du radicalisme opportuniste de la Troisième République — incarne cette République gestionnaire, adepte des symboles mais incapable d’en saisir la portée. “Toutes mes félicitations, chère madame”, déclare-t-il à la fermière, avant de distribuer médailles et bons mots. L’événement est si dérisoire qu’il devient un modèle réduit de la politique du moment : une mise en scène de vertu, où la République se baptise elle-même pour mieux oublier ses contradictions.
Le Canard, fidèle à son ironie “rurale”, joue aussi sur les codes du conte paysan : la description du banquet, la cérémonie troublée par un “petit incident”, la sagesse du curé, le dialogue entre le ministre et la nourrice — tout relève de la farce comique, mais derrière le rire perce la critique sociale. Car Rivet, sous le rire, vise juste : dans une France qui subit la hausse des prix et la fatigue d’après-guerre, ces parades rurales ressemblent à des anesthésies collectives.
Le texte se termine sur un trait d’humour en forme de verdict : “Ce petit veau, observe M. Chéron, promet de devenir un beau taureau.” La phrase, anodine en apparence, sonne comme une métaphore : celle d’un pouvoir qui élève laborieusement ses propres monstres administratifs. Rivet, en chroniqueur goguenard, laisse percer la satire d’un gouvernement qui, après avoir envoyé ses soldats en Allemagne, retourne bénir les bêtes en Auvergne.
Le dessin d’Henri Guilac renforce cette ironie : une procession de notables, paysans et enfants, le ministre en tête, bénissant l’animal sous les hourras d’un public ravi. L’image condense le génie du Canard des années 1920 : tourner la propagande républicaine en carnaval, montrer la “France profonde” non comme le socle vertueux qu’on invoque à Paris, mais comme le théâtre de l’hypocrisie politique.
En février 1923, pendant que les diplomates s’écharpent sur la Ruhr, Rivet ramène la République à l’étable. Le veau, baptisé dans l’Allier, devient le symbole d’un pays qui, faute de mieux, célèbre sa propre ruralité administrative. Et dans ce bénitier de lait tiède, le Canard plonge sa plume avec un plaisir visible.





