N° 599 du Canard Enchaîné – 21 Décembre 1927
N° 599 du Canard Enchaîné – 21 Décembre 1927
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21 décembre 1927 : Pierre Scize écrit “Nouvelles d’Amérique”
Quatre mois après l’exécution de Sacco et Vanzetti, Pierre Scize signe une “nouvelle” venue d’un monde refroidi : celui de l’Amérique moderne, de Lindbergh au capitalisme triomphant, où la justice devient machine. Sous la plume du Canard enchaîné, l’humour se change en colère, la géographie en morale. Un texte à lire comme un cri d’humanité lancé à travers l’Atlantique.
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🪶 “Nouvelles d’Amérique” de Pierre Scize (Le Canard enchaîné, 21 décembre 1927)
Dans ce long billet de la fin 1927, Pierre Scize mêle humour, nostalgie et indignation pour livrer l’un de ses textes les plus amers : un véritable réquisitoire contre l’Amérique de l’après-Sacco et Vanzetti. Paru les 21 et 22 décembre, soit quatre mois après l’exécution des deux anarchistes italiens, cet article est à la fois un hommage, une charge morale et une réflexion sur le cynisme médiatique — celui des États-Unis, mais aussi celui de la presse française.
Scize commence par une feinte légèreté. Il évoque son enfance, ses livres de géographie et la ligne bleue reliant Le Havre à New York : huit jours de mer, dit-on alors, “une idée reçue qui en valait bien une autre”. L’humour du Canard est déjà là : sous des airs de conversation anodine, le journaliste glisse de la carte postale à la critique d’un monde obsédé par la vitesse, les performances techniques et le progrès mécanique — de la traversée en huit jours à celle en trente heures grâce à Lindbergh. Le ton change, cependant, quand Scize évoque “le froid” qui a “franchi l’Atlantique” : le froid moral, celui d’un continent où la justice a basculé dans la barbarie.
Car le cœur du texte, c’est Sacco et Vanzetti, exécutés en août 1927 dans une atmosphère d’hystérie nationaliste. Scize, fidèle à la ligne libertaire du Canard, fustige l’hypocrisie des médias français, “trop occupés à vitupérer les misérables” ou à commenter la mode du “Big Business”, pour s’attarder sur le scandale judiciaire. “La presse unanime a crié haro sur les malheureux”, écrit-il, et, une fois les cadavres incinérés, “leur affaire était close”. Le Canard enchaîné, lui, persiste à maintenir vivante la mémoire des “électrocutés du Massachusetts”.
Le passage le plus fort vient quand Scize cite un texte américain paru dans la revue Europe de Romain Rolland, décrivant Boston le soir de l’exécution : une ville plongée dans “le silence d’horreur”, comme un “Calvaire” moderne. En l’évoquant, le journaliste français trouve enfin la note juste, celle de la compassion universelle : “Il n’y eut aucune violence, sauf celles de la police apeurée.” Cette citation, introduite sans emphase, fait basculer l’article de la satire à la tragédie.
La conclusion renoue avec la verve mordante : Scize s’adresse directement aux dirigeants américains — Coolidge, Thayer, Fuller — “croque-mitaines” du capitalisme triomphant. Mais la colère se mêle à la pitié : “Puisqu’il y a des justes parmi vous… puisque les mamans d’Amérique apprennent à leurs enfants vos noms désormais méprisés.” En une phrase, il abolit l’océan : les coupables ne sont plus seulement les juges, mais une civilisation toute entière, dévorée par la peur et le profit.
Dans ce texte d’une densité rare, Pierre Scize démontre toute l’ampleur de son talent : du pamphlet à la prose lyrique, du trait ironique à l’émotion contenue. Le Canard enchaîné s’y montre à la hauteur de sa mission : non seulement rire du pouvoir, mais rappeler que la satire peut être aussi une arme morale.





