N° 600 du Canard Enchaîné – 28 Décembre 1927
N° 600 du Canard Enchaîné – 28 Décembre 1927
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28 décembre 1927 : “Au seuil de l’Année”
Pour clore 1927, Le Canard enchaîné s’offre un édito façon miroir : rien ne change, et c’est bien là le gag. Hausse du pain, scandales de titres, répression de Chiappe et promesses électorales : tout recommence, tout s’use. Mais le Canard reste fidèle à ses vœux éternels — ceux d’une République qu’il aime mieux en rire qu’en pleurer.
Des canons ! Des décorations ! par Pierre Scize
Quand le président Doumergue visite les Invalides, Pierre Scize sort la grosse artillerie… de la satire. Entre culte du canon et culte de la Légion d’honneur, Le Canard enchaîné dynamite la solennité militaire et les vanités décorées. Sous les dorures, des obus ; sous les médailles, des travers bien français.
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🪶 “Au seuil de l’Année” (Le Canard enchaîné, 28 décembre 1927)
Ce court texte, signé collectivement Le Canard enchaîné, tient lieu d’éditorial de fin d’année. Sous sa forme rituelle de vœux aux lecteurs, il condense avec brio tout ce qui fait le ton du journal à cette époque : ironie, continuité satirique et lucidité politique. Publié dans le dernier numéro de 1927, “Au seuil de l’Année” joue à merveille du décalage entre le style convenu des journaux patriotiques et la vision désabusée du Canard sur la France du Cartel des gauches finissant.
Dès la première phrase, le ton est donné : “Nous ne saurions mieux faire que de dire à nos lecteurs : reportez-vous à ce que nous vous disions à pareille époque, l’an dernier.” Tout est là : la répétition des promesses politiques, la monotonie des crises, l’implacable retour du même. Le Canard s’approprie la formule du vœu officiel pour mieux la retourner contre l’immobilisme national. À la manière d’un miroir, l’article reflète la France de la stabilisation poincariste — celle qui se félicite de son “franc sauvé” mais demeure figée dans la peur du lendemain.
En quelques phrases, tout le tableau social de 1927 défile : la “hausse du pain”, “l’innocence bien connue de M. le sénateur Donon”, “les ramasseurs de lait”, les “faux titres hongrois” et “allemands”… Autant de scandales et de petites turpitudes qui ont ponctué l’année et dont le journal se moque en feignant de les juger anecdotiques. Derrière la fausse bonhomie, c’est le constat d’une France usée, engluée dans sa morale d’ordre et de stabilité, où la politique se réduit à la gestion des apparences.
Le passage sur Jean Chiappe, préfet de police réactionnaire, est un modèle de perfidie : “Si M. Chiappe continue à épurer Paris, tout ira bien, sauf (bien entendu) pour les trois cents douzaines de salauds dont nous sommes prêts à fournir la liste.” L’ironie fonctionne à double détente : d’un côté, la dénonciation du zèle répressif du préfet ; de l’autre, la fausse promesse de coopération du Canard, qui s’érige en arbitre des “salauds” de la République.
La conclusion, faussement optimiste, clôt l’année comme elle a commencé : “1928 verra l’épanouissement de ces ‘bonnes élections’ qui nous donneront le moyen d’attendre les suivantes.” C’est une satire douce-amère du rituel démocratique, où chaque scrutin ne sert qu’à patienter jusqu’au suivant. L’éditorial se termine sur une profession de foi, à la fois sincère et moqueuse : “Nous restons, de tous nos lecteurs et quelle que soit leur opinion, les serviteurs convaincus.” Manière élégante de rappeler que le Canard, en dépit de son ton libre, se veut fidèle non à un parti, mais à son public — celui qui attend de lui qu’il reste vigilant, ironique et incorruptible.
En somme, cet “Au seuil de l’Année” condense l’esprit du Canard à la fin des années 1920 : mordant sans amertume, lucide sans désespoir, et surtout inlassable dans sa fidélité à une satire républicaine et populaire.
🪶 Commentaire – “Des canons ! Des décorations !” de Pierre Scize (Le Canard enchaîné, 28 décembre 1927)
En cette fin d’année 1927, Pierre Scize — plume satirique redoutée du Canard enchaîné — livre dans “Des canons ! Des décorations !” un morceau d’ironie au vitriol. Derrière la chronique apparemment anodine des visites officielles de Gaston Doumergue à l’Hôtel des Invalides, c’est toute la rhétorique militaire et patriotique de l’après-guerre qui est disséquée, dans un style où l’humour se mêle à l’indignation.
Le prétexte est simple : le président de la République s’est rendu aux Invalides, non pour y rejoindre les “pensionnaires”, plaisante Scize, mais pour “admirer les vieux canons” — ces reliques de gloire exposées avec une solennité quasi religieuse. En quelques lignes, le Canard tourne en dérision le culte de la guerre que la République entretient depuis 1918, sous couvert d’hommages. Scize décrit Doumergue contemplant “les pétés d’un autre âge”, des “machines à pousser des boulets” devenues objets d’art, et s’amuse à imaginer les généraux lui vantant les vertus des obus et des mortiers “comme d’un Meccano enfantin”. Le rire naît de ce contraste entre l’enthousiasme cérémoniel et l’horreur réelle que ces engins symbolisent.
Mais l’article prend vite une dimension plus politique. Scize s’attaque à la résurgence du militarisme sous le Cartel des gauches finissant, qui, après avoir promis la paix, renoue avec la glorification de l’armée. Il raille l’hypocrisie d’un pays “pollué de pacifisme” où l’on continue pourtant d’élever des statues et de fondre des canons “en bronze d’honneur”. Dans cette ironie à double détente, Scize fait feu sur les deux camps : les conservateurs qui célèbrent “le silence éloquent des vieux canons”, et les républicains opportunistes qui, craignant d’être traités de défaitistes, s’alignent sur les postures martiales.
Le cœur du texte réside toutefois dans la deuxième partie : un sénateur militaire, le colonel Josse, s’indigne publiquement de la présence dans la Légion d’honneur d’un “gredin”, coupable d’être pacifiste — et collaborateur du Canard. Scize s’empare de cette polémique pour dynamiter l’institution elle-même. Il dresse une galerie de “décorés” grotesques : “directeurs de tripots, patrons de beuglants, comédiens à nageoires, cantatrices aphones”. Derrière l’ironie, on lit la charge contre la banalisation des honneurs : la médaille rouge, censée récompenser le mérite, s’est transformée en bibelot mondain, attribué par piston ou par réflexe de classe.
Le style, mordant et rapide, mêle comique visuel et satire sociale. Les dessins qui encadrent le texte — un président inspectant ses canons, puis un légionnaire renvoyé “avec le bonnet d’âne” — prolongent la moquerie. Tout y est : l’esprit de la Revue des Deux Mondes passé au pressoir du Canard.
Dans le contexte de 1927, alors que la France se rassure par le symbole militaire face à la montée des tensions internationales, ce billet résonne comme un contre-discours essentiel. Scize, fidèle à son art, dégonfle le pathos national sans jamais sombrer dans le désespoir. Derrière la moquerie, une idée simple : le patriotisme n’est grand que lorsqu’il sait rire de lui-même.





