N° 606 du Canard Enchaîné – 8 Février 1928
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8 février 1928 : “Flamberge au vent”
Quand un fromager de Boulogne défie un journaliste… à la boxe, Le Canard s’en étrangle. Whip raille cette “France ramollie” où les duels se gagnent aux gants plutôt qu’à l’épée. Mais derrière le rire, une satire : la virilité guerrière n’est plus qu’un souvenir comique d’avant 14.
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🪶 Commentaire – “Flamberge au vent” par Whip (Le Canard enchaîné, 8 février 1928)
Sous le titre hautement chevaleresque « Flamberge au vent », Whip — pseudonyme du chroniqueur Géo Friley — signe en février 1928 une satire désopilante de la société française et de ses valeurs viriles en décomposition. L’affaire qu’il raconte est minuscule : un marchand de fromages de Boulogne-sur-Mer, caricaturé par un revuiste local, a demandé réparation. Mais le duel, au lieu de se dérouler à l’épée ou au pistolet, s’est soldé… par un combat de boxe, “avec des gants de huit onces”. Pour Le Canard enchaîné, cette substitution du ring au pré d’honneur est le symptôme d’une époque ramollie.
Whip déroule son commentaire avec la verve qu’on lui connaît : ironie méthodique, outrances calculées, hyperboles de caserne et mauvaise foi savoureuse. L’idée qu’un “marchand de fromages” — incarnation de la France commerçante et ventrue — en vienne à défendre son honneur avec des gants de velours plutôt qu’avec une lame trempée, indigne le chroniqueur. Ce “combat pour rire”, écrit-il, “match tout au plus”, signe la dégénérescence d’un pays qui a perdu le sens de la grandeur. Le ton, faussement scandalisé, rappelle les moralistes cocardiers de la droite nationaliste : mais chez Whip, c’est un pastiche.
Le texte vire rapidement à la parodie d’éditorial patriotique. “Fléchissement, ramollissement, avachissement, dégénérescence” — la litanie de la décadence, moquée ici, renvoie aux obsessions de l’entre-deux-guerres : celles du déclin de la virilité française, du pacifisme jugé “mou”, du souvenir omniprésent de 1914-18. Derrière la farce, Le Canard vise les discours militaristes renaissants à la veille des élections de 1928, quand les ligues nationalistes et la presse d’ordre moral brandissaient déjà la “crise du courage” et la “perte du sens du sacrifice”.
Whip pousse la logique jusqu’à l’absurde : il imagine qu’à la place des gants, les adversaires auraient dû “briller les lames au soleil” ou “faire parler la poudre”. Puis, dans un crescendo délirant, il réclame le retour aux “pistolets bourrés de plomb jusqu’à la gueule” et aux “mitrailleuses avec leurs bandes de pruneaux”. Et de conclure, dans une envolée qui frôle le surréalisme : il faudrait rétablir les duels à mort pour que la France retrouve le respect de l’honneur, du courage et du sang — vertus qui, selon lui, garantiraient qu’à “la der des avants-derniers”, les citoyens partiraient “d’un cœur joyeux et d’un pied léger à la frontière”.
Tout le texte est un jeu de miroirs : Whip feint d’adopter le ton martial de ceux qu’il tourne en ridicule. Sa verve pastiche à merveille les chroniqueurs du Temps ou de L’Écho de Paris, qui confondaient patriotisme et goût du carnage. En transformant une querelle grotesque entre un revuiste et un fromager en manifeste pour la guerre virile, Le Canard enchaîné ridiculise la France des “mâles d’avant” — celle qui, dix ans après Verdun, rêve encore d’héroïsme mais pratique surtout la gesticulation.
“Flamberge au vent”, c’est l’art de Whip à son sommet : prendre le trivial, l’enfler jusqu’à l’épique, et retourner l’absurdité contre ceux qui prêchent la force. Sous le rire, une mise en garde : derrière les discours sur “l’honneur national”, il y a toujours le goût morbide de la guerre.





